Ce n'est pas à proprement parler une crise bilatéraleproteste Natalie Nougayrède dans un article du quotidien Le Monde qui tendrait à démontrer que quand les Américains ne semblent pas soutenir les Français dans une guerre, c'est (tout bonnement) scandaleux. Ceci est à mettre en contraste avec les fois où les Français ne soutiennent pas les Américains dans une guerre (Irak), ce qui est (entièrement) normal — voire un geste des plus laudatoires.
Et puis, qu'importe si, dans tous les cas, il s'avère que les Yankees semblent soutenir les Frenchies plus que les Nations Unies ou l'Union Européeenne ?! Quant à la presse américaine, elle vient à la défense des… Français ! (Voilà une chose qu'on aurait aimé plus voir du côté de l'Hexagone dans les années qui ont suivi 2003…)
Enfin, comme ce n'est pas George W Bush qui est aux commandes, mais Barack Obama, on pardonne tout à la Maison Blanche, y compris les contes de fée gauchistes (comme le colonialisme damné aux quatre vents) et comme une attitude qui pourrait être perçue comme une traîtrise…
Plutôt une série de doutes, d'interrogations, d'incompréhensions. La relation entre Paris et Washington est mise à l'épreuve par la crise au Mali. La rapidité et les contours de l'intervention armée française ont pris l'allié américain de court. Des responsables français ont été choqués quand les Etats-Unis ont tendu une facture de 20 millions de dollars (15 millions d'euros) pour l'utilisation des avions gros transporteurs C-17 de la US Air Force. "50 000 dollars l'heure de vol !", s'indigne-t-on encore à Paris. Le refus a été tout net.
L'affaire a "fuité" dans la presse anglo-américaine. Le 18 janvier, le Washington Post a ce titre ravageur pour l'administration Obama : "Un sale coup contre un allié au Mali", l'allié étant la France. L'article souligne que "grâce à la France, des troupes américaines ne sont pas nécessaires au Mali". Faire payer un partenaire qui combat seul, dans les sables du Sahel, un danger djihadiste reconnu de tous ? Finalement, Washington corrige son tarif : l'emploi des C-17 sera gratuit. Ce n'était pas la fin des tractations. Vendredi 25 janvier, Paris guettait une autre décision américaine : les trois avions ravitailleurs, dont la France a besoin pour ses capacités logistiques, vont-ils être mis à disposition ?
A l'inverse de Nicolas Sarkozy, qui avait laissé éclater sa colère au téléphone contre Barack Obama, fin mars 2011, après avoir compris que le président américain retirait ses avions bombardiers de l'opération en Libye, l'Elysée de François Hollande a décidé de réagir avec placidité aux "mauvaises manières " américaines. Surtout, ne rien laisser entrevoir de l'agacement ambiant. "Et ne pas donner l'impression aux Algériens" qu'il y a un malaise, glisse un officiel français. Car, sur le fond, l'Amérique soutient et aide. Son apport en renseignements est crucial.
LE PROBLÈME S'EST SITUÉ À LA MAISON BLANCHE
Le problème du Sahel figure depuis longtemps sur l'écran radar de Washington. En 2004, George W.Bush avait lancé l'"Initiative pan-sahélienne" de lutte contre le terrorisme, le début d'un positionnement de forces spéciales dans plusieurs pays de la région. L'administration Obama a parachevé la mise en place du commandement "Africom", doublée d'un programme de formation d'armées locales. Après l'attaque contre le consulat américain à Benghazi, puis la récente prise d'otages en Algérie, où trois Américains ont trouvé la mort, l'attention accordée à la mouvance d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) s'est accrue. Les services de renseignement américains font la même analyse que leurs collègues français du degré de la menace.
S'il y a eu un hiatus franco-américain, le problème s'est situé à la Maison blanche bien plus que du côté du Pentagone. Barack Obama et ses conseillers se sont interrogés sur l'ampleur de l'aide à fournir aux Français, et sur la posture de belligérant que cela conférerait aux Etats-Unis. L'attaque française au Mali, avec ses allures de corps expéditionnaire en ancienne terre coloniale, ne correspond pas vraiment à la stratégie préférée du dirigeant américain, celle des opérations armées furtives, faites de frappes de drones et d'opérations commandos, comme en Somalie et au Yémen.
Fin octobre 2012, lors d'une discrète réunion à haut niveau, à Paris, des émissaires de Washington, parmis lesquels Micheal Sheehan, le "monsieur antiterrorisme" de l'administration, demandaient avec enthousiasme à leurs interlocuteurs français : "Alors, comment allez-vous les frapper, ces salauds ?", en parlant des groupes djihadistes au Mali. La guerre se préparait, mais la diplomatie américaine avait aussi de gros doutes sur le plan français prévoyant un déploiement de forces ouest-africaines.
"LES AMÉRICAINS ONT AUSSI DES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES"
Quand l'intervention française a commencé, les conseillers de la Maison blanche ont opposé des arguments juridiques aux demandes d'entraide de Paris : "On ne connaît pas vos cibles, comment peut-on être certain que vous allez tuer des personnes représentant un danger direct pour les Etats-Unis ?" Rien ne s'est arrangé quand, apparemment sur instruction de la Maison blanche, le secrétaire à la défense, Leon Panetta, a brusquement annulé un déjeuner prévu à Paris, le 19 janvier, avec son homologue français, Jean-Yves Le Drian. Les deux hommes se sont parlé le lendemain, par téléphone.
Dans l'entourage de M.Hollande, on met ces flottements sur le compte de la période de transition politique à Washington : la cérémonie d'investiture, les nouvelles nominations dans l'administration. Et puis, glisse une source officielle à Paris, "les Américains ont aussi des contraintes budgétaires. Ils ne peuvent pas tout faire. On ne peut pas exclure qu'ils se "réservent" pour le dossier syrien..."
Quand Hillary Clinton, la secrétaire d'Etat sortante, a déclaré, le 23 janvier, que son pays devait "s'engager plus" au Sahel, les responsables français se sont demandé s'il s'agissait d'un solo politique, ou bien une éclaircie dans la relation avec "une Amérique compliquée".
Vendredi soir, M.Obama a téléphoné à M.Hollande, leur première conversation depuis le début de la guerre. Selon la Maison Blanche, il a "exprimé son soutien au leadership" français au Mali et le dirigeant français l'a "remercié pour le soutien significatif apporté par les Etats-Unis".