2011/06/04

Sartre soutient l'URSS, les pays de l'Est, la Chine de Mao, il minimise les victimes de la Révolution culturelle et doute qu'elle ait pu en entraîner

[Dans] les entretiens donnés par Jean-Paul Sartre à John Gerassi entre 1970 et 1974 … le philosophe de Saint-Germain-des-Prés … avoue ne s'être jamais senti coupable de rien durant toute sa vie …
Michel Onfray revient sur Jean-Paul Sartre :
Politiquement : Sartre avoue n'avoir pas compris le nazisme en 1933, alors qu'il vivait en Allemagne ; il dit n'avoir pas voté en 1936 et regardé les défilés du Front populaire avec indifférence ; il signale qu'il a défendu l'intervention en Espagne, pourvu qu'on ne lui demande pas d'y participer concrètement ; il a justifié le pacte germano-soviétique ; il a été apolitique au stalag, précise qu'il n'a causé aucun désordre dans le camp, mais qu'il faisait de cette docilité... une "forme d'engagement" ; il dit qu'en 1947 il n'est toujours pas politisé. Il compagnonne ensuite avec les violences révolutionnaires du siècle : il soutient l'URSS, les pays de l'Est, la Chine de Mao, il minimise les victimes de la Révolution culturelle et doute qu'elle ait pu en entraîner ; il publie dix-huit articles favorables à Castro ; il réitère la légende d'une rupture avec le PCF après Prague, mais regrette que le Parti communiste français n'ait pas pris le pouvoir en mai 68 ; il prétend qu'en mai de Gaulle a demandé à Massu de prendre le pouvoir ; il écrit sur Daniel Cohn-Bendit : "Il était loin d'être brillant. Je ne l'aimais pas tellement" ; et sur Raymond Aron : "De toute évidence, il est totalement, complètement, systématiquement de deuxième ordre, fondamentalement c'est un con et un imbécile." Il célèbre l'illégalisme révolutionnaire et fait l'éloge du "bain de sang" pour des raisons politiques ; à propos de Cuba, il extrapole une théorie générale du gouvernement par la terreur : "Pour réussir, une révolution doit aller jusqu'au bout. Pas question de s'arrêter à mi-chemin. La droite utilisera toujours la terreur pour lui barrer la route, donc la révolution doit recourir à la terreur pour l'arrêter." Il légitime et justifie l'usage de la peine de mort pour des raisons politiques …
Il légitime le "revanchisme" comme fondement de la justice populaire : "L'idée de vengeance est une idée morale." Il défend Kim-Il-Sung, le dictateur nord-coréen ; il affirme que ne pas écrire contre la répression de la Commune, c'était se faire le complice des Versaillais puis, parlant de Goncourt et Flaubert, qu'"on aurait dû les abattre" - sans préciser qu'il n'écrivit pas contre l'occupation allemande et qu'on n'a pas intérêt à relire aujourd'hui Paris sous l'Occupation ("Situations", III), un texte de 1945 qui manifeste plus d'empathie pour les officiers allemands, tellement aimables qu'ils "offraient, dans le métro, leur place aux vieilles femmes, ils s'attendrissaient volontiers sur les enfants et leur caressaient la joue", que pour les aviateurs alliés qui mettaient la sécurité des civils en question. …
On s'en doute, nombre de lecteurs du Monde sont horrifiés que l'on ôôôse s'attaquer à Sartre et à d'autres parmi "ceux qui ont essayé de penser" et parmi "ceux qui ont fait avancer la pensée, c'est-à-dire la possibilité de se révolter" ("Il n'était pas tendre, certes, mais il essayait de penser"). Pis : "utiliser une tribune pour insulter ceux qui se sont insurgés (et parfois trompés) apparaît comme une grande lâcheté." Interdit de critiquer (pardon, d'insulter) Hitler, alors (il est mort, non) ? Et Staline ? Et Mao ? C'est vrai que ces deux derniers n'étaient pas beaucoup critiqués par la gauche — pas par Sartre, en tout cas — de leur vivant. (Au contraire.) Elisabeth Martins termine : "je dis merci pour la liberté qu'ils nous ont offerte".

Oui, seulement voilà : pendant que Jean-Paul Sartre pensait, et pendant que Elisabeth Martins jouissait de la liberté que lui aurait offert Sartre — tout en s'insurgeant, l'une comme l'autre, contre les capitalistes américains et occidentaux (un système horrible, vous dis-je, horrible), ce qui était source d'une fierté et d'une auto-congratulation sans pareille —, des millions de Russes — et de Chinois — mouraient sous les politiques et pour les idéologies décidées par leurs leaders communistes…

2011/05/30

Trois leçons de l'affaire DSK

Le déferlement de l'affaire DSK des deux côtés de l'Atlantique a fait voler en éclats quelques solides tabous et révélé au grand jour ce que le public perçoit comme des codes tacites en vigueur dans l'univers des élites politiques françaises, avec la bénédiction des médias
Ainsi commence l'analyse de Sylvie Kauffmann dans Le Monde (tandis que Irène Théry lance un appel pour un féminisme à la française).
… trois leçons peuvent déjà être tirées.

Le retour du différend transatlantique Dans les médias américains, les Français sont à nouveau à la fête, peuple de "hot rabbits" dirigé par des politiciens prédateurs, qui prétend avoir fait la Révolution en 1789, mais ne supporte pas de voir ses élites traitées comme le commun des mortels. Au mieux, de manière générale, nous préférons fermer les yeux sur les comportements délictueux de notre classe dirigeante : c'est une question de culture. …

L'hypocrisie française C'est un fait difficilement contestable : en considérant le comportement privé de la classe politique comme hors sujet, même lorsqu'il jette une ombre évidente sur la personnalité de l'élu ou du ministre, la presse ne fait pas son travail. Déjà soupçonnés de collusion avec les élites, les journalistes font aujourd'hui figure d'accusés, coresponsables d'une omerta que découvre le grand public. …

Nous avons une loi interdisant l'atteinte à la vie privée, mais nous n'avons pas de loi sur la liberté de l'information sur le modèle de celle qui, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, force l'administration à s'ouvrir. Lorsqu'il y a évolution en la matière, c'est sous l'effet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Les fameux "communicants", officines de contrôle de l'image des hommes politiques et des PDG, ont acquis en France un pouvoir inégalé dans les pays occidentaux, court-circuitant les classiques directions de la communication. Ils ont créé des règles du jeu toujours plus restrictives et les journalistes s'y sont pliés. …

L'hypocrisie française, c'est aussi une façon de ridiculiser l'intégrisme américain sur les relations hommes-femmes, l'égalitarisme forcené, les procédures mises en place pour décourager le harcèlement sexuel, puis de se scandaliser que l'on ait passé sous silence les mauvaises habitudes de nos hommes de pouvoir. Pourquoi Tristane Banon n'a-t-elle pas porté plainte après sa violente rencontre avec DSK, en 2002 ? Parce qu'elle ne voulait pas être "la fille qui a eu un problème avec un homme politique ". Le message est clair : notre société réprouve ceux — et surtout celles — qui détruisent l'image des hommes de pouvoir.

L'exigence de la parité Soudain, les langues se délient. Journalistes et collaboratrices des hommes politiques racontent la "séduction" masculine au quotidien, et surtout ses dérives. Sans tomber dans le puritanisme, il existe un remède à ces dérives : la parité hommes-femmes.