2019/01/30

Mettre fin au mouvement des gilets jaunes ? Rien de plus facile


Plus il y a d'interdits et de prohibition
plus le peuple s'appauvrit;
… plus se multiplient les lois et les ordonnances,
plus foisonnent les voleurs et les bandits

— Lao Tseu, Tao Te King
(Le Livre de la Voie et de la Vertu)

L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir 
le plus possible de plumes avec le moins possible de cris
Colbert

Ce ne sont pas de nouvelles initiatives que les Français désirent ; 
c'est la révocation d'anciennes initiatives

    L'une des critiques les plus pointues à l'encontre des Gilets Jaunes serait la façon dont ils laisseraient leur colère prendre le dessus et dont ils refuseraient de participer aux règles les plus élémentaires de la démocratie, pour ne pas parler des règles élémentaires du savoir-vivre.

    "En démocratie, le débat doit être pacifique" dit par exemple dans Les Échos Jacques Hardy, un professeur des universités qui veut "rappeler fermement ces règles" aux membres de "la jacquerie" : "la démocratie sociale … est la sève du vivre ensemble patiemment construit depuis la fin de la seconde guerre mondiale" et "les idées peuvent s'exprimer librement sous réserve que leurs manifestations ne mettent pas en péril l'ordre public."

Quant à Patrick Aulnas, l'essayiste prétend que
Le mouvement des GJ devient dangereux pour la pérennité de notre démocratie. La démocratie ne peut être la mise en demeure en 2019 d’un Président élu en 2017. La démocratie ne peut être le refus de dialoguer. La démocratie ne peut être l’injonction d’annuler des réformes qui sont la mise en œuvre d’un programme accepté démocratiquement. Il faut choisir : le débat raisonnable et l’inéluctable compromis démocratique ou la violence des passions habilement entretenue par les extrémistes.
    L'on se plaint que les Gilets Jaunes ne montrent pas suffisamment de respect envers la démocratie, envers la République, envers le Président de la République, envers le gouvernement, envers la maire de Paris, envers les policiers, envers le code de la route, envers la limite de vitesse (une expression orwellienne qui, de fait, devrait s'appeler "la limite de lenteur" — d'où — précisément — la colère des Français ; pour chaque chauffard qui mérite effectivement d'être sanctionné, gageons que 499 Français sont punis parce que — selon l'opinion (vorace) du governement — ils ne roulaient pas assez lentement.)

    Ce sont des belles paroles, certes, mais une question fondamentale s'impose : en tant que valeur, le respect n'est-il pas une valeur mutuelle et réciproque ?

    Dès lors que le respect serait une valeur mutuelle, est-on en droit de se demander à quel point les politiciens français, nationaux ou locaux, et le contenu des lois qu'ils ont passé font preuve de respect envers le peuple qu'ils sont censés servir ?

    Passons en revue les mesures qu'a fait passer le gouvernement français depuis que Emmanuel Macron a accédé à l'Élysée, surtout ces six derniers mois :

    Avant la hausse des taxes sur le carburant, ils ont fait voter une loi permettant aux mairies de doubler et même de tripler les PVs de stationnement.

    Ils ont fait voter des lois augmentant les prix des carburants, augmentant les prix du contrôle technique, augmentant le nombre de points qu'on peut perdre sur le permis de conduire, etc…

    Ils ont fait installer des radars de plus en plus performants et de plus en plus sournois.  (Tout comme, en Union Soviétique, le secteur militaire était le seul qui réussissait à accomplir des prouesses, le seul domaine qui semble se porter à merveille en France — mais alors, c'est ici le summum de la technologie ! — c'est la technologie des engins censés surveiller et matraquer son peuple. Peut-être devrait-on parler d'un "complexe radaro-industriel"?)

    Cela dure depuis 15 ans, bien sûr, mais sous le gouvernement d'Édouard Philippe, il a été décidé de cèder les radars mobiles aux mains de sociétés privées en recherche de bénéfices et du plus gros rendement.

    Surtout, le premier ministre Édouard Philippe a imité Annie Hidalgo sur le périphérique parisien et a accompli le 1 juillet 2018 ce qu'aucun pays en Europe ou même en Occident n'a jamais fait : aller contre le progrès et baisser la limite de lenteur (pardon, de vitesse) sur les routes secondaires de 90 km/h à 80 km/h

    De fait, ce n'est pas avec les Gilets Jaunes que la révolte a commencé ; c'est pendant l'été 2018 — avec la destruction des radars dans tout le pays.

    Et la goutte d'essence qui a fait déborder le réservoir du trop-plein fiscal, c'est la hausse des taxes sur le carburant.

    Une question pour le gouvernement et pour ceux qui critiquent les Gilets Jaunes :  

    Pourquoi insiste-t'on que les Français parlent calmement et posément avec des politiciens qui ne leur montrent que du mépris ?

    Est-ce que mettre les Français sous un système de surveillance permanent est censé leur montrer du respect ? Est-ce que traiter les Français comme des vaches à lait est censé leur montrer du respect ?

    Quand ces mesures sont passées, où était-il, ce débat tant vanté, où était cette discussion vantée jusqu'aux nues ?

    On dit aux Gilets Jaunes de faire preuve de respect pour les "gouvernants … désignés par des élections libres" tandis que Patrick Aulnas ajoute que "La démocratie ne peut être [ni] le refus de dialoguer [ni] l’injonction d’annuler des réformes qui sont la mise en œuvre d’un programme accepté démocratiquement."

    On pourra répondre que si le candidat Emmanuel Macron, ses candidats aux législatives, et le mouvement LREM dans son intégralité avaient montré tant soit peu de respect pour les électeurs pendant la campagne de 2017, ils auraient peut-être annoncé toutes les mesures liberticides et appauvrissantes qu'ils avaient l'intention de prendre.  ("Nous avons de bonnes nouvelles pour vous, chers concitoyens : si nous gagnons les élections, nous vous promettons de doubler le montant des amendes de stationnement — voire de les tripler ! Mieux : nous vous promettons d'augmenter le nombre de PVs et de points perdus, en baissant artificiellement la limite sur 400.000 km de routes secondaires!").

    Un membre du gouvernement prétend que seul 1 Français sur 50 fait partie des Gilets Jaunes.  En effet, personne ne peut nier qu'une grande partie de la population semble tellement aveuglée qu'elle croit qu'une solution à court terme ("c'est bon! ça suffit! ça nous fatigue, à la longue! rentrez chez vous!") va règler le problème.  Ça ne veut pas dire que la majorité a raison.

    L'un de ceux qui ne font pas partie des Gilets Jaunes est un directeur de théâtre de ma connaissance ; celui-ci me disait qu'il faut que cela s'arrête, il n'y a pas plus de 3-4 actes au théâtre, qu'ils mettent un terme à leurs protestations.

    "Moi, depuis le début, ils me font chier les Gilets jaunes" peste François Berléand, quant à lui, sur RTL :
Il y a la liberté de circuler, la liberté de travailler. Pourquoi bafouer ça ? Les Gilets jaunes n'ont pas conscience qu'il y a des gens qui travaillent, que ça coûte de l'argent, que les manifestations qui ont dégénéré à Paris, ce sont les assurances, et donc eux qui les payent, tout le monde paye. … Il y a des gens qui pensent comme moi aussi. Et c'est bien dommage que personne ne le dise, parce que je pense que c'est une grande majorité de gens qui n'ont pas la parole pour dire "stop" aux Gilets jaunes.
    C'est "tout le monde [qui] paye" ?! en ce moment ?! Je demanderais à ces deux professionnels du théâtre (le metteur en scène et l'acteur) comment ils s'attendent à ce que le citoyen lambda aille voir l'une de leurs pièces de théâtre quand (en admettant que ce dernier ait encore son permis) il a deux fois plus de PVs qu'avant et lorsque certaines de ces amendes auront doublé ou triplé.

    Là — là, dans le futur —, ce sera vraiment "tout le monde [qui] paye" !

    En effet, cela vaut pour le reste de l'économie, bien sûr, que ce soit l'achat de livres (classiques ou bandes dessinées), le départ en vacances (à l'étranger ou en France) ou le passage hebdomadaire au supermarché (caviar ou jambon) : comment les citadins dans ces secteurs — dans tous les secteurs de la société — qui se disent fatigués par les confrontations et qui sont opposés à la continuation des protestations (ceux qui, de fait, demandent une solution à court terme) vont-elles s'épanouir dans les mois, dans les années à venir, quand l'appauvrissement des citoyens et leur mise en situation de dépendance a été décidé par l'État ?!

    Alors, terminons sur une note positive : On nous a dit que les Gilets Jaunes sont trop désordonnés pour se mettre d'accord sur ce qu'ils veulent.

    Mais ce n'est pas ce qu'ils veulent qui les réunit ; c'est ce dont ils ne veulent pas.  On ne demande pas des nouvelles initiatives "brillantes" à l'Élysée ; on demande que Emmanuel Macron révoque la vaste majorité des initiatives "brillantes" prises par son premier ministre.

    Qu'il révoque la limite à 80 km/h ; qu'il révoque les augmentations des prix des carburants et des prix du contrôle technique ; qu'il révoque l'augmentation, scandaleuse, des forfaits de post-stationnement (les FPS, encore un terme orwellien) ; qu'il révoque l'augmentation du nombre de points qu'on peut perdre sur le permis de conduire.

    En clair : que le Président Macron révoque la vaste majorité des mesures prises par son gouvernement concernant la Sécurité Routière depuis mai 2017.

    D'aucuns regretteront que Edouard Philippe soit sans doute obligé de démissionner, mais espérons que d'autres leur rappelleront la façon musclée dont le premier ministre a tenté d'appauvrir le peuple français.  (Et qui dit appauvrissement dit liberticide.)

    De fait, s'il ne craint pas l'humiliation et s'il veut faire un pas de plus en notre direction, le Président Macron n'a qu'à s'inspirer des voisins européens de la France, par exemple l'Allemagne dont le taux de morts sur routes est plus bas qu'en France : au lieu de remettre la limite sur voies secondaires à 90 km/h, il pourrait la hausser à 100 km/h.

    En outre, il pourrait prendre exemple sur le permis allemand, qui, certes, pénalise un excès de "vitesse" (sic) par le paiement d'une amende, et cela dès le premier km dépassé, mais où la perte du premier point sur le permis n'intervient qu'après un dépassement de la limite de 20 km/h minimum.

    Dès lors, le mouvement des Gilets Jaunes s'éteindrait aussi vite qu'il a commencé, comme par magie.

    Et le peuple français pourra se réunir, comme un, pour entonner, tous ensemble, La Marseillaise !