2004/05/03

Les questions révèlent-elles la curiosité des journalistes, ou leurs partis pris?

Quand des sujets d'interview répondent du tac au tac à des questions antiaméricaines, les journalistes européens s'empressent... de changer de sujet.

Dans une interview-fleuve avec Ralf Dahrendorf, le sociologue et politologue allemand, Lord britannique, européen et atlantiste répond aux questions des journalistes du Monde et d'El País (Enrico Franceschini, Jean-Pierre Langellier et Walter Oppenheimer)
L'Europe doit comprendre que les Etats-Unis sont son partenaire, son allié, un pays frère avec qui elle forme le monde libre. Et que sans les Etats-Unis, elle serait moins libre, assurément.
L'un des journalistes ne peut pas laisser passer une telle déclaration ignare et horrifique.
Même sans l'Amérique de George Bush, qui envahit l'Irak sur la base de mensonges ?
Dahrendorf ne sait-il donc pas à quel point cette Amérique-là est l'ennemi numéro 1 de l'humanité!? Mais ce dernier ne se laisse pas faire.
Le débat sur la guerre en Irak est tout aussi animé aux Etats-Unis qu'en Europe. On aurait tort de réduire les Etats-Unis à leur président ou à leur actuelle administration. Ceci dit, je reste favorable à l'intervention en Irak, pour des raisons personnelles. Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive autrefois, et il les a utilisées. Peut-être ne les avait-il plus en 2003. Mais si, au lieu de fermer les yeux, les alliés étaient intervenus contre Hitler en 1938, on aurait pu éviter l'Holocauste.
Et que font les journalistes à ce moment-là, c'est-à-dire quand la conversation ne va pas dans le sens qu'ils l'auraient voulu (mais alors là, pas du tout)? Oui, vous l'avez deviné : ils… changent de sujet.

Car ce qui est significatif ici n'est pas le fond de la pensée du sujet allemand-britannique, mais la façon dont les Français (et les Espagnols) auxquels il parle ne l'écoutent pas. Tout ce qui semble être à leur ordre du jour est de faire écho au mantra officiel (celui du Monde? de la France? de l'Europe?) et de minimiser tout ce qui ne s'incrusterait pas dans sa lignée…

À un moment donné, ils critiquent implicitement Dahrendorf pour ne pas avoir été un champion de l'union monétaire à 100% depuis le début — la "question" est formulée ainsi : "Vous n'étiez pas très enthousiaste quant à l'euro" (ce qui signifie, évidemment, que pas le moindre doute ne doit être entretenue lorsqu'il s'agit de suivre ce que décident, dans leur sagesse inégalable, "nos" leaders pro-européens).

À un autre moment, quand ils discutent de la décision de Tony Blair de demander l'avis des Britanniques à un référendum sur la Constitution européenne, ils lui posent cette question : "Est-il possible que la Grande-Bretagne ne soit toujours pas décidée à faire totalement partie de l'Europe ?" (ce qui signifie, évidemment, que la démocratie n'est pas quelque chose à laquelle il faut faire appel, si et quand les résultats vont contre ce qu'on nous a assureacute; était la meilleure voie).

Pour en revenir aux questions sur l'Irak : quand Dahrendorf met les accusations contre Bush en perspective (montrant que l'accusation de menteur est exagéré et que de toutes façons, le résultat de la guerre a été positif), les Européens, comme nous l'avons vu, changent de sujet. Quel dommage, ils semblent penser, qu'une personne de cette intelligence et de cette estime ne se rende pas compte que l'Amérique d'aujourd'hui est un pays ô combien horrible auquel il convient de s'opposer, bec et ongles.

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