2004/12/12

Charles Enderlin et France 2 n'ont rien d'un Dan Rather ou d'une CBS, loin de là…

Selon les principes du Monde, l'information doit être rigoureusement vérifiée et soigneusement recoupée

Le Médiateur du Monde

La différence avec Dan Rather aux USA (et avec les conséquences de son reportage à la CBS en octobre) est on ne peut plus emblèmatique…

Il y a quelques semaines, Catherine Simon avait un article sur un "l'un des plus anciens journalistes en poste en Israël", "un vieux routier du journalisme et de la politique", "l'un des meilleurs connaisseurs du Proche-Orient", le "vice-président de l'Association des correspondants de la presse étrangère à Jérusalem".

On l'aura compris : tout est fait dans le quotidien de référence pour encenser ce "chroniqueur averti" comme un sage ("enfant sage perlé d'humour") qui, perle de la sagesse, se sent "de plus en plus Français".

Non seulement Charles Enderlin est laïc, mais il se moque des religieux et il partage le rêve de de "cantonner" les chefs religieux "dans leurs temples". En plus, il a de l'humour ("ajoute-t-il en riant") et de la simplicité («Charles Enderlin dit simplement : "Je viens de là."»). Le citoyen parfait, quoi. Et on allait l'oublier, le correspondant de France 2 à Jérusalem "s'est forgé sa morale" et il a du courage : "C'est en toute connaissance de cause, risques et périls compris, qu'il a décidé de continuer à l'exercer" (son métier).

Le seul bémol, évidemment (Catherine Simon y arrive à la fin), c'est évidemment "la diffusion des images du petit Mohamed Al Dura, mourant dans les bras de son père, lors d'une fusillade à Gaza entre l'armée israélienne et les combattants palestiniens". Le vénérable quotidien du soir nous y prépare ainsi :

Le conflit Israël-Palestine, "exemplaire" à plus d'un titre à l'échelle de la planète, est aussi celui "qui fait fantasmer le plus", note-t-il. Pour le meilleur parfois, mais surtout pour le pire.
C'est sous l'intertitre "PRESSIONS, INSULTES, MENACES" que nous apprenons ce que Le Monde entend par "le pire" :
Charles Enderlin, qui a commenté ces images prises par l'un de ses cameramen palestiniens, devient la cible d'une campagne de dénigrement d'une violence inédite. Sur Internet, des sites juifs francophones l'accusent d'avoir mis en scène la mort du petit Mohamed. Une accusation que le gouvernement israélien se garde bien de relayer.
"La cible", "une campagne de dénigrement", "d'une violence inédite". Heureusement, la légendaire solidarité française veille…
Quatre ans plus tard, le 18 novembre, la direction de France 2, solidaire de son journaliste, annonce qu'elle porte plainte contre X... pour "diffamation publique". Un acte salutaire minimal : dans un contexte proche-oriental marqué par la montée des violences et des extrémismes, ce type d'accusation peut être interprété comme un appel au meurtre.
Malgré "l'appel au meurtre", notre héros fait appel à son héroïsme bien développé par Le Monde
Charles Enderlin hausse les épaules : "On se fait une peau d'éléphant", assure-t-il.
Le Monde continue dans sa lancée de considérer l'affaire comme une tentative scélérate de censurer la vérité et de museler un homme courageux (et simple, rationnel, honnête, amusant, sympatique, etc, etc, etc…)

Après avoir mis fin à toute discussion du sujet en deux paragraphes, l'article change de sujet pour parler de l'antisémitisme en France, histoire de signaler que le débat est clos et que Charles Enderlin a d'autres chats à fouetter. S'y ajoute une boîte (voir tout en bas de la page URL de l'article) où la sagesse et l'objectivité (et la lucidité aussi, sans doute) du "chroniqueur averti" se trouve encore plus renforcée. Le journal indépendant termine avec une autre démonstration tant du courage, des principes, et de l'indépendance de France 2 et du "vieux routier du journalisme et de la politique s'est forgé sa morale", que de l'ignomie et de l'insignifiance de leurs "détracteurs" :

"Si ma rédaction en chef décidait que tel ou tel sujet doit être tourné différemment du fait de telle ou telle réaction possible, j'aurais alors un problème fondamental. Cela ne m'est jamais arrivé." A bons détracteurs, salut...
Seulement, voilà : l'accusation principale dans la "campagne de dénigrement" ne viendrait pas d'un "simple" site (juif ou autre), mais d'un journal, dont le sérieux, selon les dires de certains, a été assez bien documenté par le passé. L'on notera par ailleurs que Catherine Simon n'a fait aucune tentative pour identifier les sites en question, et — plus important encore — pour tenter, de quelque façon, de contrer les arguments de ceux-ci (n'entend-t'on pas toujours en France des appels au dialogue, au débat, à la logique, à la raison?…). En même temps (fait hautement étrange lorsqu'on considère à quel point la défense est acharnée), le langage a changé ("mourant dans les bras de son père, lors d'une fusillade…") pour ne plus désigner les responsables de cette mort.

L'article de Stéphane Juffa dans le Wall Street Journal ne semble pas regorger de formules brûlantes et d'appels "au meurtre" (directs ou indirects), par ailleurs ; on dirait plutôt une enquête assortie d'une suite de tentatives, pour la plupart infructueuses, de rencontrer les responsables de France 2.

Le rédacteur en chef de la Metula News Agency nous apprend certains faits auxquels nous n'avons pas eu trop droit dans les médias français (y compris l'article de Catherine Simon). L'article se termine par trois questions que Stéphane Juffa persiste à poser à France 2

Pour revenir au médiateur du Monde :

Le rôle du Monde est aussi de mettre au jour des réalités qui le méritent, de révéler des faits inédits ou cachés …

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