2004/05/07

"La liberté, il faut en avoir été privé pour savoir ce que c'est"

Alors que s'approche la 60ème anniversaire du Jour J, un article d'une page entière dans Le Monde décrit les veillées organisées dans des salles municipales de Normandie, pendant lesquelles certains témoins s'expriment pour la première fois sur les horreurs qu'ils ont vécu le 6 juin 1944. L'article se termine ainsi : "Mais, pour nous, c'était la Libération, conclut Raymond Paris, de Sainte-Mère. La liberté, il faut en avoir été privé pour savoir ce que c'est."

Si je m'accroche aux paroles de Raymond Paris, c'est pour une raison bien particulière. Ce n'est pas que je veuille faire des comparaisons inconsidérées mais à priori, il me semble que le ton de voix de ces vétérans et des survivants contredit légèrement (oui, c'est un euphémisme) le ton dans le reste du quotidien de référence, qui, dans un conflit plus d'actualité, ne manque jamais de mettre le mot "libération" entre des guillemets réducteurs ; et comme si cela ne suffisait pas, il ne perd jamais une occasion pour comparer les Américains aux… fascistes ou aux Nazis (chose qu'il n'avait jamais fait par rapport aux membres du régime de Saddam Hussein)…

Lire la suite

2004/05/05

Torture : La France, prête à donner des leçons aux USA.

Alors qu'un scandale sur la torture enflamme les États-Unis, la France, grâce au ciel, est là, prête à donner des leçons aux Ricains. Et ce n'est pas la première fois…

En janvier 2002, un grand quotidien national publiait un article sur le débat public aux États-Unis concernant le “dilemme moral” de la torture dans le sillage de l’attaque sur le World Trade Center et le Pentagone. Cet article se terminait par ces paroles édifiantes : “professionalisme oblige, les défenseurs des droits de l’homme ont heureusement informé les Américains que la torture est interdite, et ce par une convention internationale” (souligné par moi). En d’autres mots, ouf : quelle chance que nous avons tous — et les Américains en premier — qu’il existe des experts professionels — des gens comme nous, Européens sages épris de liberté, d’égalité, et de justice — sinon à quoi pourrait-en s’attendre de la part de ces grands enfants irréfléchis et irresponsables que sont les Américains moyens?

Trois remarques : La journaliste ignorait, ou avait oublié, qu’un an et demi auparavant, un sondage, réalisé par l’institut CSA pour la section française d’Amnesty International a révélé qu’un Français sur quatre juge “la torture acceptable dans certains cas”. Elle avait oublié qu’en juillet 1999, le pays qui sauvegarde fièrement les droits de l’homme depuis 1789, s’est retrouvé en compagnie de la Turquie comme étant les seuls deux pays parmi les 41 membres du Conseil de l’Europe à être condamnés pour avoir usé de la torture. Et elle ne pouvait savoir, je présume, que deux mois plus tard, France 3 allait diffuser L’Ennemi intime, le documentaire sur ceux qui ont torturé en Algérie. (Sauf que Patrick Rotman a supprimé toute mention des atrocités commises par la partie algérienne.)

Cette phrase assassine finale faisait fi, surtout — et c’est ce qui est le plus exceptionnel —, du reste de son propre article, qui traitait du fait que les Américains étaient — justement — troublés par un sujet que l‘Atlantic Monthly classait à juste titre parmi les “questions difficiles” et qui a chaque fois a été abordé sur le plan du “dilemme moral”. La journaliste avait elle-même indiqué que la presse américaine “n’a pas trouvé de partisans déclarés [de la torture] ou heureux de leur fait”. N’est-ce pas parce que les Américains savent que la torture est interdite, et cela avec raison, dans leurs esprits, qu’il y a dilemme (et que par ailleurs il y du matériel pour un article sur trois colonnes)?

Mais il n’empêche que le dilemme est bien réel. Par exemple, imaginez qu’on ait soumis Zacarias Moussaoui (le seul terroriste a avoir été arrêté avant le 11 septembre 2001) à la torture, et qu’il ait révélé sinon les planques de ses complices, du moins leurs intentions de se servir d’avions de ligne comme des missiles sur le World Trade Center et le Pentagone. Est-il possible que la torture d’un seul individu (fût-il francais, arabe, ou américain) aurait pu sauver la vie de quelques 3000 hommes, femmes, et enfants? (N’est-ce pas d’ailleurs pour cela, que dans le sondage mentionné ci-haut, 34% des Français interrogés ont trouvé acceptable que des policiers utilisent la torture pour faire faire parler “une personne soupçonnée d’avoir posé une bombe qui va exploser dans un lieu public”?)

De nouveau, des faits semblables se produisent en Amérique et en Europe, mais si les sujets pénibles en France (et en Europe) sont abordés (relativement) à fond, ils sont rapidement décrits et, mettons, “catalogués”, pour être aussitôt oubliés, or relégués en veilleuse de l’esprit, au profit des descriptions généralisées de la population brillant par son amour de la justice, etc. Tandis qu’avec l’Amérique on lui trouvera une signification ultérieure “évidente”, la dernière “preuve” de ses méfaits, crimes, péchés, ou de sa “maladie mentale collective” (ou ceux de ses dirigeants), dont le catalogue doit être exposé, et l’est, bien en évidence à la vue de tous.

L’on comprendra que je qualifie la dernière phrase de l’article sus-nommée de gratuite. Voyons donc comment le texte se serait terminé si elle avait été supprimée ou placée ailleurs dans le corps du texte (après tout, les “défenseurs des droits de l’homme” n’étaient mentionnés nulle part ailleurs, et en fait, on peut se demander si la phrase n’avait pas été ajoutée par un rédacteur “bienveillant”). En d’autres mots, voyons quelle est l’avant-dernière phrase : “la presse devait-elle aborder la torture alors que — on avait tendance à l’oublier — il ne figurait à nul ordre du jour officiel et ne faisait l’objet d’aucun projet du gouvernement?” Il me semble que c’est un peu plus nuancé. (N’est-ce pas plutôt comme cela que se serait terminé un article sur la France, tout autre pays de l’Europe, ou même une dictature du tiers-monde?)

Plus j'y pense et plus j'en suis convaincu… Oui : je ne serais pas du tout étonné si c'était effectivement avec cette phrase en dernier que Corine Lesnes a donné son papier à la rédaction. Mais un rédacteur “bienveillant”, soucieux de rappeler aux lecteurs du Monde (et aux citoyens de la nation) le fait on ne peut plus évident que les Américains sont intellectuellement retardés (ils n'ont pas cette capacité étonnante de raisonner que l'on trouve chez les Français éternellement lucides) a probablement ajouté cette dernière phrase à l'article.

2004/05/03

Les questions révèlent-elles la curiosité des journalistes, ou leurs partis pris?

Quand des sujets d'interview répondent du tac au tac à des questions antiaméricaines, les journalistes européens s'empressent... de changer de sujet.

Dans une interview-fleuve avec Ralf Dahrendorf, le sociologue et politologue allemand, Lord britannique, européen et atlantiste répond aux questions des journalistes du Monde et d'El País (Enrico Franceschini, Jean-Pierre Langellier et Walter Oppenheimer)
L'Europe doit comprendre que les Etats-Unis sont son partenaire, son allié, un pays frère avec qui elle forme le monde libre. Et que sans les Etats-Unis, elle serait moins libre, assurément.
L'un des journalistes ne peut pas laisser passer une telle déclaration ignare et horrifique.
Même sans l'Amérique de George Bush, qui envahit l'Irak sur la base de mensonges ?
Dahrendorf ne sait-il donc pas à quel point cette Amérique-là est l'ennemi numéro 1 de l'humanité!? Mais ce dernier ne se laisse pas faire.
Le débat sur la guerre en Irak est tout aussi animé aux Etats-Unis qu'en Europe. On aurait tort de réduire les Etats-Unis à leur président ou à leur actuelle administration. Ceci dit, je reste favorable à l'intervention en Irak, pour des raisons personnelles. Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive autrefois, et il les a utilisées. Peut-être ne les avait-il plus en 2003. Mais si, au lieu de fermer les yeux, les alliés étaient intervenus contre Hitler en 1938, on aurait pu éviter l'Holocauste.
Et que font les journalistes à ce moment-là, c'est-à-dire quand la conversation ne va pas dans le sens qu'ils l'auraient voulu (mais alors là, pas du tout)? Oui, vous l'avez deviné : ils… changent de sujet.

Car ce qui est significatif ici n'est pas le fond de la pensée du sujet allemand-britannique, mais la façon dont les Français (et les Espagnols) auxquels il parle ne l'écoutent pas. Tout ce qui semble être à leur ordre du jour est de faire écho au mantra officiel (celui du Monde? de la France? de l'Europe?) et de minimiser tout ce qui ne s'incrusterait pas dans sa lignée…

À un moment donné, ils critiquent implicitement Dahrendorf pour ne pas avoir été un champion de l'union monétaire à 100% depuis le début — la "question" est formulée ainsi : "Vous n'étiez pas très enthousiaste quant à l'euro" (ce qui signifie, évidemment, que pas le moindre doute ne doit être entretenue lorsqu'il s'agit de suivre ce que décident, dans leur sagesse inégalable, "nos" leaders pro-européens).

À un autre moment, quand ils discutent de la décision de Tony Blair de demander l'avis des Britanniques à un référendum sur la Constitution européenne, ils lui posent cette question : "Est-il possible que la Grande-Bretagne ne soit toujours pas décidée à faire totalement partie de l'Europe ?" (ce qui signifie, évidemment, que la démocratie n'est pas quelque chose à laquelle il faut faire appel, si et quand les résultats vont contre ce qu'on nous a assureacute; était la meilleure voie).

Pour en revenir aux questions sur l'Irak : quand Dahrendorf met les accusations contre Bush en perspective (montrant que l'accusation de menteur est exagéré et que de toutes façons, le résultat de la guerre a été positif), les Européens, comme nous l'avons vu, changent de sujet. Quel dommage, ils semblent penser, qu'une personne de cette intelligence et de cette estime ne se rende pas compte que l'Amérique d'aujourd'hui est un pays ô combien horrible auquel il convient de s'opposer, bec et ongles.

Read the English version

Le Rwanda, vous dites ? Oh, mais
l'Irak, c'est bien plus grave, enfin !

Le dixième anniversaire du génocide au Rwanda a apporté son lot d'articles dans la presse hexagonale. Un gros titre, sur la une du Le Monde, s'exclame "Rwanda : comment la France s'est trompée". Libération va un peu plus loin, en écrivant "Rwanda : Les fautes de la France" et "Au Rwanda, quelle France ?" Plus récemment, Stephen Smith nous livrait un article intitulé L'infamante accusation de « complicité » de la France est portée sans preuves.

C'est-y pas joli, ça? Ces titres plus ou moins inoffensifs ou carrément défensifs. Les journalistes ne laissent pas dire n'importe quoi, et ne laissent pas les préjugés des autres — ou leurs propres préjugés — influencer leur travail, qui se doit d'être objectif.

Évidemment, vous vous doutez pourquoi j'en fais état ici : n'est-ce pas étrange, le changement de ton de la part de journalistes — et de citoyens — qui se veulent objectifs, quand il s'agit de la France (ou de l'Europe), d'une part, et de l'Amérique (ou de leurs alliés), de l'autre?

Après tout, la tragédie du Rwanda a fait quelques 800 000 morts en 100 jours. En Irak, d'après Le Monde, 731 soldats américains ont trouvé la mort en un an, ainsi que entre 5000 à 10 000 Irakiens, s'il faut en croire certains "organisations de défense des droits de l'homme" (et pour ma propre part, je considère leurs chiffres très exagérés — mais comme ce sont les plus élévés, ce sont ceux que je choisis pour mettre ici).

Faisons un jeu : essayons de changer le nom des pays dans les titres :
Irak : Comment l'Amérique s'est trompée.
L'infamante accusation de « complicité » de l'Amérique est portée sans preuves.

(Quel sujet, le dernier titre, me demandez-vous? Quelle importance?)

Hein? C'est pas joli, ça? Non?
C'est vrai. C'est trop surréaliste. Ça ne fait pas véridique du tout…

NYT, Reuters, WP, ABC, VOA, etc, devancent la Fox...

Selon un article dans le San Antonio Express News,
le site du New York Times est celui qui est le plus utilisé par ceux qui cherchent leurs infos sur Google News. Il est suivi par Reuters, le Washington Post, ABC News et la Voice of America, sur une liste des sources d'infos les plus fiables mise online par le site Newsknife.com. ...

"Selon nos recherches, les sites au sommet de notre palmarés se distinguent comme des sources d'infos crédibles qui présentent les infos de façon précise," explique un message sur le site. En d'autres mots, "ce sont des bons sites qui font du très bon boulot."
Et alors? vous vous dites. C'est bien beau, ça, mais quel intérêt?

Oh pas grand chose, si ce n'est ce qui suit : s'il faut en croire les médias français, 1) la seule chose que regardent les zombies ricains du lever au coucher du soleil, c'est Fox News; 2) il n'y a pas d'autre expression pour Fox News qu'"extrêmiste"; et 3) que tout ce que font toutes les médias du lever au coucher du soleil, c'est se vautrer dans le type de French-bashing que l'on retrouverait sur la Fox du lever au coucher du soleil.

Or, Fox News ne se trouve même pas parmi les 12 sites les plus visités par les internautes. Alors, les médias français vont-ils changer le ton de leur voix?

Ça va pas, non?! Cela signifierait mettre un terme au Yankee-bashing (qui dépeint les Americains comme rétrogrades, bellicistes, et "extrêmistes" etc, etc, etc). Et ça, vous le savez très bien, ce n'est pas pour demain la veille.

Read the English version

Les Texans n'y vont pas de main morte

Le Houston Chronicle du Texas publie un article qui prouve que
les choses allaient bien mieux en Irak avant l'insécurité occasionée par la guerre, et que de toutes façons, ces cow-boys américains sont des égoïstes avares sans sentiments humains qui ne pensent qu'à l'argent et à s'enrichir…

Read the (much longer) English version

"Le cauchemar du peuple irakien"

Rémy Ourdan livre un second volet dans sa trilogie d'articles sur la vie en Irak un an après la chute de Saddam Hussein, qui, comme les autres, met quelque peu à mal la thèse comme quoi ce conflit aurait été la grande tragédie du 21ème siècle. Cela dit, il ne peut toujours pas se résigner à écrire l'expression « "libération" du pays » sans mettre des guillemets réducteurs autour du mot libération.
"Cet homme-là fut le cauchemar du peuple irakien, pense Samir. Il a insulté, volé et martyrisé notre pays. Il a tué. Il a réécrit l'Histoire. Il a tenté de nous apprendre à aimer la guerre. Il a enseigné à nos enfants la haine de l'autre et la haine de l'art. Il leur a enseigné à ne vivre qu'en accord avec ses prétendues "valeurs", celles d'un plouc minable et d'un criminel." S'il s'affirme "enchanté de la chute de Saddam Hussein", ce qui est "le principal" dans l'aventure américaine en Irak, Samir n'est guère heureux, un an après, de la situation dans le pays. Chrétien et urbain, l'artiste craint "l'influence des islamistes". Pour lui, après le règne du chef tribal de Tikrit, ils ne sont que d'autres campagnards obscurantistes.

Saddam Hussein reste toutefois son obsession. …

"Saddam est devenu président de l'Irak en tuant tous ses amis, puis il a aussitôt déclenché une guerre. Cet homme vénérait l'idée de la guerre. On pouvait lire la joie, l'excitation dans ses yeux lorsqu'il brandissait un fusil. …"
Mais selon les élites bien-pensantes en occident, un peu de compréhension, de bienveillance, et de fermeté auraient suffi à convaincre ce "cauchemar" d'éviter la guerre, de rendre son pays démocratique, et de résoudre les problèmes des Irakiens de façon durable…

Read an English translation

Un Bagdadi décrit son "humiliation"

Vous souvenez-vous? France 2 qui affirmait que la capture de Saddam Hussein était une humiliation pour chaque Irakien?… Voyons ce qu'en dit un Irakien interrogé un an après la chute de Bagdad.
Emprisonné sous Saddam Hussein, [Wesam Rady] peine à évacuer ses traumatismes. "Chaque fois que quelqu'un évoque Saddam, j'ai encore envie de pleurer. Je m'excuse..." Wesam, un ancien dessinateur du journal baasiste Al-Jumhuriya, tremble encore en racontant son histoire. "Je travaillais dans ce journal parce qu'il fallait bien survivre, et surtout parce que je pensais que ça protégerait ma famille, chiite. J'ai échoué. Je suis allé en prison trois ans parce que j'avais fait une blague sur le président... Saddam a été une catastrophe. Il a tué certains de mes amis, et beaucoup d'autres Irakiens..." Wesam vient de réaliser un "coup" commercial en peignant une série de sept tableaux reproduisant la scène du dictateur émergeant de sa cache en décembre, près de Tikrit.

"Quand j'ai vu ces images à la télévision, j'ai dansé, j'ai pleuré de joie, et j'ai pris mes pinceaux. J'ai peint Saddam avec toute la haine que j'avais en moi. J'ai été surpris de recevoir, dès que la rumeur de la ville a parlé de ces toiles, la visite d'officiers américains et de journalistes qui ont tout acheté. Je n'en ai plus, et n'en peindrai plus. Ce serait monotone. Mais avoir peint Saddam dans cet état m'a un peu libéré..."
Quelle humiliation. J'admets que Le Monde a raison quand il affirme que cette guerre fut une honte qui n'aurait jamais dû avoir eu lieu…

Qu'a changé pour les Bagdadis depuis un an?

Un an après la chute de Bagdad, Rémy Ourdan écrit un article spécial pour Le Monde sur ce qui a changé dans la vie des Bagdadis. On y voit toute la misère, celle apportée par les Ricains et leur guerre, que décrivent si bien et si souvent les journalistes européens.
Le café Shahbandar n'a pas changé. Un an après la chute de Saddam Hussein et la victoire américaine, on s'y retrouve toujours chaque vendredi, entre gens de bonne compagnie. C'est là, au bout de la rue Mutanabi, "la rue du marché aux livres", qu'écrivains, artistes et journalistes irakiens discutent des événements de la semaine en buvant le thé et en fumant des narguilés.

"Si, quelque chose a changé", murmure Najid Hamid, un photographe qui documente depuis une décennie la vie dans le plus vieux café de Bagdad.

"Quand je regarde tous ces visages sur mes photographies, de retour chez moi, je m'aperçois que quelque chose a changé..." Il scrute la salle, tous ces hommes assis sur des bancs, discutant, râlant, riant.

"La différence, c'est la joie, dit Najid. Auparavant les visages étaient fermés et tristes ; aujourd'hui ils sont ouverts et joyeux." Le plus drôle est que même ceux qui n'arrêtent pas de pester, de prédire une "catastrophe", ceux qui affirment que "c'était mieux avant", révèlent sur les photos de Najid un visage pétillant qu'ils n'affichaient pas il y a un an.

"Chaque vendredi, c'est l'engueulade. Les conversations entre amis sont à la fois plus formidables et plus difficiles qu'avant. Nous avons perdu notre unique point commun : la vie sous la dictature", raconte Zuher Radwan. Analyste politique et critique littéraire d'origine palestinienne, Zuher, bien qu'étant un nationaliste arabe opposé aux Etats-Unis, confiait en 2003 qu'il souhaitait la guerre. "J'avais raison, dit-il. Le changement, c'est excellent. Ça valait bien une guerre..." Et Zuher de reprendre l'argument de tous ses compatriotes favorables à l'intervention américaine. "Les Irakiens n'auraient jamais pu renverser Saddam Hussein seuls." …

"Etre Irakien, c'était avoir la sensation d'être menotté dès la naissance, et cette guerre, c'est la sensation que quelqu'un est enfin venu nous enlever ces menottes, raconte Esam Pasha.
Une grande partie de l'article, il est vrai, concerne les plaintes par rapport aux Américains, mais Ahmed Al-Safi met ces plaintes en perspective :
"Je crois que l'Irak va mieux depuis un an. Tous les Irakiens passent leur temps à se plaindre, à souligner les mauvais côtés de l'occupation, mais je crois quand même que l'Irak va mieux. Personne n'aime voir une armée étrangère envahir son pays, mais c'était la condition du changement."

Read the English translation

De : Le Monde ; Pour : Viggo
Sujet : Interdictions pour la carrière

Le Monde à Viggo : Interdiction de faire des films dans le désert arabe (à moins que cela ait un propos politique anti-Bush). Ça y est? On n'a rien oublié? Les Français — ceux qui se plaignent sans cesse du fait que les Yankees seraient des donneurs de leçons invétérés — ne peuvent s'empêcher de donner des leçons aux autres, particulièrement aux Américains. Même dans leurs critiques de films, ils faut qu'ils manifestent leur aigreur. Dans son compte-rendu de Hidalgo, Florence Colombani écrit :
Cruellement dépourvu de tout propos politique, mais saturé de clichés (goût de la liberté pour l'Américain, persévérance et ruse pour les Arabes), le film de Joe Johnston aurait, dans le contexte actuel, sans doute gagné à se dérouler dans une autre région du monde.
Pardon? J'ai bien compris? Hollywood devrait s'abstenir de faire des films dans (ou concernant) le Moyen Orient? Et jusqu'à quand, s'il vous plait? Jusqu'à ce que le dernier G.I. quitte l'Irak? Je présume que chaque citoyen américain devrait sentir le poids de la honte sur ses épaules pour la "tragédie" qui s'y passe? Du moins, jusqu'à ce que quelqu'un qui soit naturellement plus humaniste qu'eux — quelqu'un de la trempe de Florence Colombani, par exemple — leur dise qu'ils ont été assez punis et qu'ils ont le droit de tenir la tête droite de nouveau. Et Viggo Mortensen et Omar Sharif devraient refuser des rôles à moins que ce soit dans le contexte de films avec des propos politique? Ah bon? Ça y est? Florence a-t'elle assez de choses sous son contrôle?

Et quel aurait dû être le propos politique du film? Je me le demande? Ah oui, ça y est, je sais. L'Américain aurait dû avoir honte de son pays et de ses leaders, tandis qu'une journaliste du Monde aurait ébloui tout un chacun avec son humanisme, sa lucidité, son militantisme, sa générosité, et son amour sans limites pour l'égalité et les droits humains. Ohlala, j'ai hâte de lire le scénario.

Read the English version

2004/05/02

Le Monde admet que Bush n'a pas menti
sur les ADM de Saddam…



et…

…s'empresse de dissimuler l'article à la page 32 !

Cinq experts internationaux balayent la théorie comme quoi George W Bush et Tony Blair auraient menti sur la menace des ADM irakiens, mais ce fait est soigneusement caché par le quotidien de référence.

Comment? En publiant cette information d'une valeur capitale sur sa page consacrée aux Médias, dans le cadre de sa revue de presse d'une publication sœur.

Et, comme on peut s'en douter, le titre ainsi que le sous-titre sont d'une discrétion extrême (La question de l'armement de l'Irak n'est pas tranchée : Dans la revue "Politique étrangère", cinq experts alimentent le débat sur l'existence des ADM).

Et quoi de plus normal, après tout? Le contenu de l'article du 2 avril 2004 réfute, contredit, et dément complètement la campagne que d'aucuns mènent pour endommager Bush et Tony Blair quant à leurs "mensonges" à propos des armes de destruction massive de Saddam Hussein comme étant l'une des raisons principales pour attaquer l'Irak du boucher de Bagdad. Dans la mesure où des mensonges doivent être évoqués, l'article délare non seulement que si "de grossiers mensonges" ont été proférés, ils l'ont été par "certains des plus hauts responsables irakiens" (répondant aux questions des inspecteurs de l'ONU) ; il suggère aussi que de continuer à évoquer les mensonges de Deubeliou est trompeur (pour ne pas dire mensonger)...

Lire la suite

Injustice Irakienne : Les Ressortissants du Camp de la Paix ont, eux aussi, besoin de blindage

Suite à la tragédie à Fallujah, la télévision française a diffusé un reportage à propos d'une société irakienne spécialisée dans la location de voitures blindées. Il va s'en dire qu'il réalisait de grosses affaires. (Si je me souviens bien, le prix était de 500 euros par jour.)

Le reportage sur TF1 se termina avec l'interview de l'un des clients de l'homme d'affaires irakien. L'homme, un producteur de télévision allemand, secoua la tête et se plaignit qu'il n'avait pas d'autre choix que de louer une voiture comme celle-ci. En effet, les Irakiens ne font pas la différence. Quelques semaines auparavant, dit-il, un autre Allemand avait été tué, et quelques Finlandais aussi étaient tombés dans une embuscade.

Le non-dit de son témoignage, et ce qu'il fallait lire entre les lignes du reportage, semblait être : "Les Irakiens (c'est-à-dire les terroristes) ne se rendent-ils pas compte qui sont les gentils? Que ces derniers — nous les pacifistes anti-Bush sympatiques et solidaires — ne doivent pas être confondus avec les méchants (les Américains bellicistes et arrogants)?" Quelle injustice!

Ce qui est intéressant, c'est que le chef de la société de location ne fait pas écho au sens de tragédie dont est imprégné le point de vue habituel des Européens. "Ici, les bombardements ne nous gênent pas. Nous y sommes habitués. Ce sont les Occidentaux qui sont inquiets " (et qui sont ses clients). De toute évidence, cet homme d'affaires n'est pas du type d'Irakien que les journalistes européens vont chercher pour écrire leurs articles habituels au ton tragique et catastrophique.

Read the English version

Le "pacifisme unilatéral"

De Rome nous vient une leçon courte pour ceux qui partent en croisade contre Washington, qu'ils se trouvent en Italie ou ailleurs.

Un article dans le International Herald Tribune fait état des efforts de Romano Prodi pour être à l'Italie ce que José Luis Rodriguez Zapatero est à l'Espagne : au cas où il serait élu, le chef de la plus grande coalition d'opposition italienne (ainsi que le président de la Commission européenne) rendrait une contribution monumentale à l'humanité en… mettant fin au rôle militaire de l'Italie en Irak.

Pendant ce temps, Le Monde a de la peine à cacher sa joie. Après la défaite de José Maria Aznar (ah, ces bombes de Madrid, quelle bénédiction!), un autre allié de Washington et opposant de la constitution européenne (dans son format actuel), Leszek Miller, a été évincé en Pologne. Quelle chance! En ce qui concerne Ségolène Royal, depuis que la compagne du leader du PS a vaincu la remplaçante du Premier Ministre, on la surnomme "la Zapatera" ("la tombeuse de Raffarin"). Ce qui prouve que tant que vous vous opposez à l'Amérique, à sa société, ou à ce qu'elle symbolise, on vous lionise comme un héros (ou une héroïne), que ce soit en France, en Espagne, en Italie, ou ailleurs, et cela quelles qu'en soient les circonstances.

(Étrange, non, que personne en France ne semble jamais se plaindre de Zapatero, ou de ceux de son espèce, comme étant le(s) caniche(s) de Paris?)

Ce qui nous ramène à l'article de l'IHT sur l'Italie, qui se termine avec un appel au bon sens :
"Le retrait aujourd'hui, just like that, de nos troupes de l'Irak serait une décision catastrophique", déclara le chef de la maison basse du Parlement italien devant un congrès politique le 27 mars, avant de dénoncer ce qu'il appela le pacifisme unilatéral dans la guerre contre le terrorisme. Ajouta Pier Ferdinando Casini: "C'est bien beau, de crier « la paix, la paix », mais ça ne suffit pas."

Read the English version

Même les traducteurs sont activistes au Monde

Douglas envoie une autre missive au journal Le Monde. (Comme d'habitude, elle n'est pas publiée.)
Messieurs,

Je tiens à vous dire que j’ai tout particulièrement apprécié la façon subtile dont vous avez dénaturé le titre de l’essai de Michael Ignatieff sur la guerre en Irak, paru dans l’édition du 21 mars. Comme il traitait de l’année écoulée depuis le déclenchement de la guerre, les éditeurs du New York Times ont préféré “The Year of Living Dangerously”, rendant ainsi hommage au film de Peter Weir (1982). Pour vous, cela n’était évidemment pas assez dur et votre traductrice Florence Lévy-Paoloni a eu assez d’esprit (voire de toupet) pour inventer ce “Comment j'ai changé d'avis sur l'Irak". C’est très bien... sauf que c’est un peu malheureux étant donné que M. Ignatieff écrit lui-même que “personne ne peut honnêtement dire ... si [ces morts] seront rachetées par l'émergence d'un Irak libre ou rendues inutiles par un plongeon dans la guerre civile”.

M. Ignatieff s’oppose maintenant à la guerre? Votre embarras est compréhensible.

Au fait, “changer d’avis” est une traduction bien abusive de la phrase anglaise (“to have second thoughts”) qu’emploie M. Ignatieff. Mon dictionnaire anglais-français (Collins-Robert 1994) préfère “commencer à avoir des doutes,” ce qui est sûrement plus proche des intentions de cet auteur. Qu’est-ce qui a pu pousser Mme. Lévy-Paoloni à faire dire à M. Ignatieff quelque chose qu’il ne pense pas? C’est curieux: je vois que Mme. Lévy-Paoloni a également traduit les ¦uvres du journaliste anti-guerre britannique Robert Fisk, de l’inspecteur onusien renégat Scott Ritter (deux fois, même), de l’ancien ministre britannique des affaires étrangères Robin Cook (lequel a démissionné par opposition à la guerre), de l’écrivain anti-américain Gore Vidal, de Friedrich Engels et aussi de l’écrivain israélien Amos Oz (lorsque celui-ci s’est prononcé contre la guerre en Iraq).

Peut-être que Mme. Lévy-Paoloni est-elle donc une traductrice activiste? N’empêche... sa formule vous a permis de mettre l’essai de M. Ignatieff à profit idéologique... Je vous en félicite! Tout comme je vous félicite de ne pas avoir fourni un lien sur lemonde.fr à l’article de M. Rémy Ourdan sur les très dures opinions irakiennes sur la politique étrangère française. Il n’eut pas été bienséant de laisser ces internautes qui aiment tant “Comment j'ai changé d'avis sur l'Irak" voir que les Irakiens sont en réalité très peu reconnaissants envers les Français (sauf André Glucksmann et quelques autres, peut-être). Mais à mon avis, ce qui couronne votre effort, c’est votre édito du 19 mars qui se voulait un démenti sur les prétextes de cette guerre: cela est paru deux jours après la publication des résultats d’un sondage de l’opinion irakienne commandé par quatre agences médiatiques anglophones (dont le BBC) qui montrait à quel point le peuple irakien est aujourd’hui optimiste... malgré tout. Heureusement qu’on a pas parlé de ça dans Le Monde.

Il n’y a pas toutes les vérités qui sont bonnes à dire!

Bien à vous,

Read Douglas's description in English

Le rapport US secret et caché qui n'était ni secret ni caché

Douglas écrit au quotidien de référence :
La liste des articles recommandés sur lemonde.fr nous propose en première place un article sur Le scénario climatique d'apocalypse... que voulait cacher le Pentagone." A la différence de ce que prétendait The Observer — la source évidente du reportage [de Hervé] Kempf — ce rapport n'était ni secret ni caché. Par ailleurs, si M. Kempf fait référence à l'article du Fortune Magazine (ce qui n'est pas un "journal"), il aurait du lire le paragraphe suivant:…

Lire la suite (bilingue) et la réponse de Hervé Kempf

"Presque tous … pensent que la France a défendu Saddam…"

Le 24 mars, l'un des envoyés spéciaux du Monde en Irak s'est entretenu avec les lecteurs via un chat par internet. Morceaux choisis.
Raph : La reconstruction se passe-t-elle bien ? Le changement de pouvoir est-il aujourd'hui perceptible ?
Rémy Ourdan : Le changement de pouvoir est évidemment très perceptible. Passer d'une dictature stalinienne comme celle de Saddam Hussein à l'occupant américain génère des sentiments très mêlés dans la population. …

Xtof : Quel est le souhait principal des Irakiens à ce jour ? Voir les Américains partir ?
Rémy Ourdan : Leur souhait principal serait d'avoir un pays stabilisé et serein. Evidemment, beaucoup réclament publiquement le départ des troupes américaines, estimant qu'elles sont partiellement responsables du chaos. Mais beaucoup d'autres reconnaissent aussi, en privé, que ce départ pourrait laisser la place à un glissement vers la guerre civile. S'il fallait résumer l'opinion ambiguë des Irakiens, on pourrait dire qu'ils veulent voir la fin de l'occupation de leur pays, tout en continuant à réclamer une aide étrangère, car ils ne croient pas que les Irakiens seuls puissent réussir le pari d'une paix durable.

Ben : Comment les irakiens perçoivent-ils les débats sur les armes de destruction massive (ADM) ou la légitimité de la guerre ?
Rémy Ourdan : Pour les Irakiens, le débat sur les armes de destruction massive est une affaire très mineure. Ils répètent souvent que le principal fut la chute de Saddam Hussein et qu'aujourd'hui le principal serait de retrouver la souveraineté et la paix. …

Richard75 : Il semble que les Irakiens (même lorsqu'ils sont anti-américains) aient un sentiment antifrançais virulent car ils pensent que la France a tenté de sauver Saddam. Pouvez-vous confirmer ou infirmer ?
Rémy Ourdan : Ce sentiment est très fort en Irak. Presque tous les chiites, presque tous les Kurdes et beaucoup de sunnites pensent que la France a défendu Saddam Hussein pour protéger une vieille amitié et de soi-disant intérêts économiques et pétroliers. Par ailleurs, beaucoup d'Irakiens sont fâchés contre la France à cause de son attitude après la guerre. …

Read Douglas's English translation

Les Irakiens se plaignent des journalistes occidentaux

"Contrairement à ce que croient souvent les Européens, le fait d'être opposé à l'occupation américaine ne fait absolument pas monter la cote de popularité de l'Europe, ou de tel ou tel pays, en Irak", écrit l'envoyé spécial du Monde à Bagdad dans un article qui dément spectaculairement la thèse hexagonale, comme quoi George W Bush et l'armée US auraient fait déraper la meilleure solution, celle des partisans de la paix.

Au contraire. Justement, un Bagdadi racontait à un autre journaliste son peu d'estime pour les journalistes français. "Ils viennent ici nous parler en mal des États-Unis d'une façon stupide. Ils s'en fichent, des crimes de Saddam Hussein." Et ce n'est pas que les Français, note un peintre : "Tout ce que veulent les journalistes européens et arabes, c'est que nous fassions des commentaires antiaméricains." Pis, on entend beaucoup d'histoires concernant des envoyés spéciaux qui mettent en scène des "infos" afin de discréditer les U.S. "Ces journalistes sont venus ici avec tous leurs préjugés" grogne un autre Bagdadi. "Ils ne sont intéressés par rien qui puisse contredire leur point de vue antiaméricain."…

Lire la suite

Un Sheikh qui n'évoque pas les malheurs des Irakiens...

On a peine à y croire. Le Monde qui laisse s'exprimer une personne qui ne fasse pas partie des anxieux, des moqueurs, et des outragés, de ceux qui se tordent les mains en répètent toutes les litanies habituelles contre la politique de Washington. Mieux, le sheikh — car c'est bien d'un sheikh qu'il s'agit (et pas des moindres, puisque cet Irakien se trouve être la plus haute autorité religieuse chiite d'Amérique du Nord) — démolit systématiquement tous les préjugés qu'on entend à l'encontre des Américains, tant dans le monde des "humanistes" français et des "pacifistes" occidentaux que dans le monde arabe et/ou musulman. Sans doute les rédacteurs du quotidien du soir n'ont-ils pas pris conscience de l'ampleur des paroles de Fadhel Al-Sah Lani, ou ils ne les auraient jamais publiés…

Lire la suite

"J'accuse"...

"J'accuse certains Français de jalousie mesquine envers ce pays qui semble ne jamais donner assez, en termes de vies humaines ou d'aides de toutes sortes", écrit Paule Zapatka dans Le Figaro quatre jours après les attentats du 11 septembre. "J'accuse surtout les journalistes français de bâcler leur travail. De donner des États-Unis une idée complètement erronée des événements ou de jeter sur eux une lumière si crue que le reste du tableau est laissé dans l'ombre. Pas une semaine et guère un jour sans que la presse francaise, ou le journal parlé de 19 h … ne se fasse les dents sur les États-Unis. Tout est bon à discréditer ou à caricaturer"…

Lire la suite

2004/05/01

Comment la presse nous a désinformés sur l'Irak

Voilà que paraît un livre excellent, qui devrait figurer sur les listes de lectures obligatoires de toute école de journalisme qui se respecte. Dans La Guerre à Outrances : Comment la presse nous a désinformés sur l'Irak, "Alain Hertoghe a décrypté la façon dont cinq quotidiens français (Le Monde, Libération, Le Figaro, La Croix et Ouest-France) ont couvert la guerre d'Irak", explique le dos du livre.
À la lecture des articles qui leur sont consacrés pendant les trois semaines de conflit, il est flagrant que les quotidiens ne peuvent pas ou ne veulent pas maintenir une distance raisonnable avec l'atmosphère passionnée qui s'est emparée de la France. … Planter le décor idéologique dans lequel la presse française rend compte des opération militaires en Irak est indispensable. Car ce triple prisme partisan — diaboliser l'administration Bush, adhérer à la ligne du couple Chirac-Villepin et communier avec les opinions publiques antiguerre — témoigne de l'état d'esprit qui règne dans les rédactions au moment de couvrir le conflit. Il va provoquer un dérapage journalistique collectif à la mesure du climat passionel qui a régné autour de la crise irakienne.
En tant que journaliste free-lance depuis 15 ans, je le dis sans retenue : le livre de Alain Hertoghe devrait doréanavant faire partie des lectures obligatoires de toutes les écoles de journalisme francophones sans exception.

Lire la suite

La presse, la société américaines,
dignes de Staline?

Dans la lignée des charmants L'Amérique,-c'est-en-fait-aussi-détestable- que-le-plus-horrible- des-systèmes-totalitaires,-sinon-pire nous vient l'article du Monde sur la photo truquée contre le candidat Kerry. Que nous apprend la der du 20 février 2004, et ce dès la première phrase? Que "La photographie ci-dessus est un faux, un montage comme savait en faire la propagande soviétique pour récrire l'histoire." Soit : "oui, d'accord, on le sait, l'URSS était un désastre pour le peuple soviétique, mais aux USA, c'est du pareil au même!"

Ce n'est que tout en bas de la deuxième colonne que l'on apprend ce qui n'aurait dû être un secret pour personne, et cela quasi-accidentellement : "La photographie n'a, semble-t-il, pas été reprise dans la presse américaine". Non seulement l'importance de cette information est immédiatement diluée par la prolongation de la phrase contenant des précisions sans grande importance et par ailleurs trompeuses ("mais seulement par deux journaux britanniques conservateurs" ignore allègrement que le Daily Mail et le Mail on Sunday ne sont en fait qu'un); mais en plus, la phrase contient ce fameux "semble-t-il".

"Semble-t-il"! Quelle délicieuse précision! Cela équivaudrait à "Par le plus grand des hasards", "on n'est pas tout à fait sûrs", "il paraîtrait". Soit : si la photo-montage avec Jane Fonda n'a pas été publié dans les journaux américains, c'est tout à fait accidentel. Ou alors : ce n'est que grâce à un accident fortuit que la société néo-stalinienne par excellence, qui suit George W Bush comme des caniches, ne s'est pas fait avoir par les autorités. Ou, si l'on préfère : les Américains, tant l'ensemble des citoyens que la plupart des rédactions, étaient tout prêts — comme d'habitude — à croire en cette désinformation, comme les démeurés qu'ils sont ; mais heureusement, presque accidentellement, des esprits sages (c'est-à-dire des Américains qui partagent le même point de vue que les Français humanistes et qui sont donc empreints d'une spiritualité et d'une faculté de raisonnner sans commune mesure) veillaient.

Puisqu'il semble nécessaire de faire des leçons de déontologie journalistique à certains, rappelons certains faits :
  • Les journaux américains sont réputés pour ne rechercher que, et ne donner que, les faits — "facts, facts, facts" — les opinions étant réservés pour la page éditoriale, clairement à part. C'est-à-dire que les modalités d'entrée dans une rédaction sont, à priori, conçues pour éviter que des personnes avec des intentions cachées y entrent ou, en tout cas, pour qu'ils font leur travail et gardent leurs opinions, sinon pour la page éditoriale, pour la sortie des bureaux. La recherche des faits présume qu'on ait fait ses devoirs de vérifier les faits avant de les publier (le travail des fact-checkers, que j'ai par ailleurs déjà rempli). Si on découvre des "faits" invérifiables ou carrément faux, on ne les évoque pas (ou alors dans un contexte approprié). C'est pour cette raison que les journaux sérieux n'ont pas parlé de la relation présumée de John Kerry avec une intern. Et c'est peut-être pour cette même raison que, "semble-t-il", la photographie n'a, "semble-t-il", pas été reprise dans la presse américaine.

  • Contrairement à cela, une partie des devoirs du journaliste dans les pays de l'Est (du Pacte de Varsovie) était de mettre toutes les informations dans le contexte de ce que l'on pourrait appeler l'auto-congratulation éternelle. "Tout ce qui se passe chez les Yankees et les capitalistes est illustratif du côté criminel et néfaste de leur société (et au mieux un leurre), alors tout ce qui se passe chez nous démontre à quel point nous sommes des êtres d'une sagesse, d'un humanisme, d'une fraternité, d'une générosité, d'une solidarité, d'une joie de vivre on ne peut plus exemplaires."

  • L'aspect significatif dans le fait de l'existence des faux soviétiques (tant au niveau des photos qu'à celui de la présentation des informations), ce n'est pas les trucages proprement dits, c'est le fait qu'ils aient été réalisés par la presse officielle d'État, monopole du parti unique au pouvoir, et cela, de façon régulière et systématique, quotidiennement, pendant de nombreuses décennies; et que toute tentative d'y remédier aurait été irrémédiablement sanctionné (y compris par la peine capitale).
Peut-être que si, de par le monde, des journaux comme le New York Times, le Washington Post, et le Wall Street Journal se font, "semble-t-il", plus citer à l'étranger que des journaux comme le quotidien de référence (sans parler du Monde diplomatique, ou encore, avant la chute du mur de Berlin, de journaux comme Pravda et Izvestia), ce n'est pas, "semble-t-il", tout à fait accidentel?

Lecteurs et Médiateurs

Nombre de lecteurs qualifient de gentil ou d'honnête le fait qu'un journaliste ait pu prendre la peine de répondre à leurs lettres au courrier des lecteurs d'un journal, et je suis d'accord. Toutefois, je considère que ces réponses peuvent être une solution de facilité, sinon un leurre, fût-il inconscient. (En voici une autre, impliquant une erreur d'un tout autre registre et, il est vrai, d'ordre bien moins sérieuse, de Éric Fottorino et où le nom de Marion Van Renterghem se trouve aussi être mentionnée.) Si le courrier n'est pas accompagné par sa publication dans le support en question, en effet, le mea culpa (et encore, celui-ci est souvent conditionnel) équivaut à être inexistant puisque l'aveu que l'article était (au moins partiellement) fautif ou inégal n'à été fait qu'à un seul lecteur, et non à l'ensemble des dizaines de milliers de lecteurs du journal (ceux-là même qui, tous, ont lu l'article original).

Il est certain qu'aucun journal n'a la place pour passer tous les courriers que lui envoie ses lecteurs. Cela dit, quand on regarde le contenu de certains courriers dans le quotidien de référence (une vingtaine de lignes expliquant pourquoi le D dans le nom du Général De Gaulle doit prendre une majusucle, par exemple, ou l'histoire du vin d'une région qui occupe deux colonnes, etc), on peut se dire que l'absence de certaines polémiques n'est pas sans être à leur avantage. (Stéphane Courtois fait une liste d'autres exemples dans son "Du passé, faisons table rase!" [voir par exemple p 87-88], livre que le quotidien ne semble jamais — selon une recherche dans les archives sur son site — avoir évoqué dans ses pages.)

Qui sait? Peut-être Le Monde publiera la lettre de Douglas (j'en doute) où le "médiateur" l'incluera-t'il dans sa rubique hebdomadaire (où la force de tels courriers, il faut le préciser, est diluée puisque perdus dans un maelström d'opinions dans lequel Robert Solé trie et oppose les unes aux autres afin d'avoir l'avantage de présenter le dernier mot ; une conclusion dans laquelle, lui aussi, a l'avantage de se présenter (lui comme son journal) comme étant foncièrement juste, accessible, et ouvert aux critiques).

Cela dit, l'idéal aurait été évidemment qu'un bastion du journalisme ne laissa pas passer de telles vindictes in the first place et/ou que des journalistes sérieux, "assermentés" à l'objectivité, ne les aient pas écrites, in the first place, ces vindictes. Espoir vain, puisque comme le dit Pierre Rigoulot — dans son excellent livre que je conseille vivement — le quotidien de référence "confond de plus en plus information et combat politique".

(Après que j'ai écrit ce qui précède, est paru l'exemplaire du 7 février 2004.)

Et voilà. Le Monde a publié la lettre d'un lecteur (d'une lectrice plutôt) concernant la détention du “blagueur de bombes” français. Comme d'habitude, ils ne choisissent pas celle qui est la plus percutante, mais une qui leur permet, quand même, en fin de compte, de se tirer d'affaire puisqu'il leur permet de rappeler à tout le monde ce qui est essentiel dans la vie : fustiger la société aux États-Unis. Et elle ne vient ni du New Yorkais ni même d'un Américain, mais d'une Française (étudiant à Yale). Sans doute les étrangers n'ont-ils pas la même capacité de raisonner que les habitants de l'Hexagone. La lettre de Laure Marcellesi commence bien par évoquer "l'exaspération [américaine] devant le nombre croissant de ces « plaisanteries » à la francaise", mais elle se termine par une boutade sur les "détenus de Guantanamo, qui sont, eux — et non M. Moulet, ne lui en déplaise —, de vraies victimes d'un dérapage du droit aux États-Unis". Une occasion, comme tant d'autres, pour Le Monde de rattraper le coup en évoquant un "autre" crime américain, un qui serait encore plus grave. Ouf. Sauvés.

(Si jamais Le Monde se voyait obligé de publier un texte un peu plus équilibré sur le sort des détenus de Guantánamo (ce qui me paraît peu vraisemblable), ils pourraient à ce moment-là se rabattre sur, mettons, le couloir de la mort ; car à chaque fois qu'on fait valoir quelques faits saillants sur les accusations dont est sujette l'Amérique, les antiaméricains prennent comme stratégie de faire une pirouette et de "sauter de côté", du coq à l'âne, et aborder un autre sujet "brûlant" dans la liste des péchés américains, liste qu'ils connaissent par cœur et devant laquelle les péchés de tous les autres pays et de tous les autres types de société du monde, vrais ou imaginaires, paraissent insignifiants.)

L'enfer pour les joyeux lurons, c'est aux USA

Encore une fois, les Français sont ceux qui savent ce que c’est que de vraiment connaître la souffrance, ce que c’est que de réagir avec exagération (qu’ils sont ridicules, les Ricains), et ce que c’est que de défendre des principes, des vrais ! Évidemment, on s’en doute, c’est par rapport… aux Yankees ! Car il faut savoir que les Français sont non seulement l'incarnation d'une intelligence, d'une sagesse, d'une capacité de raisonner sans égal, ils ont aussi un sens de l'humour décapant, qui illustre tant une décontraction tout à fait admirable qu'une sagesse et une lucidité remarquables. Sagesse qui se manifestent toujours d'une façon appropriée — ils savent quand il faut s'engager et militer et quand il faut faire preuve de compassion et de tolérance ; ils savent quand il faut rire de la folie des hommes et quand il faut s'en indigner ; etc. Récemment, les médias français ont fait état d'un exemple (de plus) de l'humour franc et sain des Français ainsi que de la manque de compassion et de tolérance de ces horribles Yankees paranoïaques.

Ainsi, un deuxième “blagueur de bombes” français a été arrêté aux States. Et à Franck Moulet de passer 20 jours dans la prison new-yorkaise de Rikers Island. Apparemment, les étudiants des beaux-arts ne lisent pas les panneaux dans les aéroports (avertissant de ne pas ironiser sur le terrorisme, car tout message dans ce sens sera prix au sérieux) et apparemment, ils ne croient pas nécessaire de se tenir informés de ce qui arrive aux autres humoristes dans la même veine. Surtout, ni eux ni l’intelligentsia française — ni surtout la presse de l'Hexagone — ne semblent apparemment prêter aucune signification au fait que pour éviter de telles réactions, il serait peut-être approprié, parfois (et dans certains endroits précis), de contenir quelque peu son sens de l'humour.

Noter, svp, à quel point le titre de l'article dans Le Monde du 1 février 2004 est tendentieux : "Les vingt jours en enfer de Franck Moulet, écroué aux Etats-Unis pour avoir blagué dans un avion". Soit : en Amérique, on est envoyé en enfer (rien que ça), pour n'avoir rien fait d'autre que s'amuser pendant un vol. On a l'impression que tout ce qui s'est passé, c'est qu'un membre de l'équipage un peu fouille-m•rde (sinon paranoïaque) a surpris la conversation d'un jeune de 18-19 ans raconter, en toute innocence, une histoire drôle à ses copains hilares ("C'est un Français, un Américain, un Belge, et un membre d'Al Qaeda qui se rencontrent dans un Airbus, et le Belge dit…")

Alors que ce que Franck Moulet a fait — en sortant des toilettes — c'est s'exclamer à une hôtesse (qui s'inquiétait de la raison qu'il s'y était attardé), soit "Oh merde! La bombe que j'ai posée dans les toilettes n'a pas fonctionné!" soit (selon l'intéressé) "My shit don't explose!" (les versions sont contestées, mais au quotidien de référence de prendre parti pour l'étudiant — qui a 27 ans, quand même — en "précisant" que c'est "une nuance qui échappe aux policiers").

Pis : le "Frenchy" aurait purgé sa peine dans un centre pénitencier pour délinquants confirmés. C’était évidemment une occasion pour la journaliste Marion Van Renterghem à ne pas manquer pour s’attaquer à la société américaine : racisme, dérapages de la justice ("Si seulement il l'avait su lui-même [ce qu'il] faisait là"), enfer des geôles ("Une île-prison, comme un château d'If entre le Queens et Manhattan"), que ne sais-je ; ainsi que de réaffirmer la “solidarité” (naturelle, sans doute) entre Français et minorités américaines ("Ce sont les Afro-Américains, raconte Franck Moulet, qui l'ont le plus aidé").

Pendant ce temps (deux jours plus tôt, en fait), à Éric Fottorino de conclure son billet sur le cousin français de John Kerry pour faire, lui aussi, de l'ironie sur ces Américains insensés : "Supposons que Kerry tombe Bush. Grâce à Brice [Lalonde], on pourra faire de fausses alertes à la bombe en Amérique sans risquer la prison?" Ho, ho, ho.

L’article du Monde se termine par une déclaration de principe dont chaque Français — que dis-je, chaque militant humaniste sur notre belle planète bleue — peut se sentir fier : "Il assure qu'il ne retournera plus jamais aux Etats-Unis." Et au quotidien de référence de s’émerveiller qu’un individu de plus ait rejoint la troupe de personnes révoltées par l'horrifiante société yankee (c’est-à-dire des personnes ô combien raisonnables et lucides), en faisant répéter au jeune homme cette belle déclaration de principe : “Jamais !”

Post-scriptum: Douglas raconte sur son excellent weblog comment il a envoyé un courrier des lecteurs par mail au Monde, une lettre qui va droit au but. Le jour suivant, il recevait deux lettres du quotidien, dont une de la journaliste, qui a la témérité de prétendre que
Relater le témoignage de "ce monsieur Moulet" n'avait pas pour objet de s'indigner des conditions de détention aux Etats-Unis (la France n'a guère de leçons à donner sur ses prisons). Il ne s'agissait pas non plus de dire que c'était le garçon sympathique et bien élevé qu'il n'est visiblement pas, mais de livrer comme telle l'expérience de quelqu'un qui, par insolence, s'est trouvé puni d'une manière que les lecteurs peuvent apprécier à leur guise: totalement disproportionnée, ou au contraire pas volée pour un tel "mioche" qui "méritait bien qu'on lui montre un peu le monde réel"?
Je trouve ceci exemplaire de ce que l'on peut appeler dans l'esprit hexagonal, vouloir le beurre et l'argent du beurre. Certains journalistes veulent à la fois partir en croisade (si l'on me permettra l'expression) contre l'ennemi numéro 1 de l'humanité et en même temps prétendre être dans une logique de déontologie journalistique on ne peut plus objective. Un moment, Marion Van Renterghem présente la situation comme une tragédie de David contre Goliath (lisez seulement : "à bout de nerfs, il semblait vidé. Et puis soudain, c'est sorti. Cette vie en prison, il fallait qu'il la raconte. Les yeux hagards, il parle vite, pleure facilement. Ne s'arrête plus. Il veut raconter Rykers [sic] Island. […] Il n'arrive plus à parler, le son ne vient plus, les larmes coulent"), et après, quand d'aucuns s'en offusquent, elle prétend qu'il est certain que le but recherché n'était autre que de laisser "les lecteurs … apprécier [la punition] à leur guise". excusez du peu… Et qu'importe qu'elle puisse se douter que Moulet n'est pas exactement un "garçon sympathique et bien élevé". Ce qui compte pour la journaliste, c'est que — quelles que puissent être les défauts du jeune homme (et justement, plus il en a, plus cela est censé montrer les soi-disants valeurs de "tolérance" des Européens qui, jamais, n'auraient réagi de façon aussi exagérée) — l'on puisse l'éléver au rang de "victime" de l'Amérique, un allié qui viendra grossir les rangs des "justes".

Point, donc, de "Il l'a bien mérité" ici. Aucunement. Non, c'est une expression réservé pour les Yankees. Justement, comme je l'ai dit, l'article dans le quotidien de référence se termine par une déclaration de principe de ladite victime. Soit : Les seuls qui aient "bien mérité" quelque chose dans cette affaire, ce sont les Américains, puisque une personne de plus a vu clair dans leur (infâme) jeu et s'est rendu compte à quel point leur société est horrifique et qu'il a pris la décision ô combien importante de rejoindre le glorieux combat des personnes avec des vraies valeurs, celles qui ne (re)mettront jamais leurs pieds dans ce pays.

Les amalgames, à éviter sauf pour…

Les Guignols de l'Info s'y remettent. Le 18 décembre 2003, ils montraient un sketch mettant en scène Michael Jackson. Sur le mur d'une chambre d'enfants où Jacko (enfin, sa marionnette) s'est introduit au milieu de la nuit, le pantalon autour des chevilles, une bannière étoilée … énorme. On comprend tout de suite où les marionnettistes de Canal + veulent en venir. Dans la société française, on n'aime rien de mieux que de pérorer sur le fait qu'il faut être "lucide", et qu'il ne faut pas faire des amalgames inconsidérés (dernièrement, c'est entre les terroristes et les Musulmans, etc), et cela non sans raison — évidemment.

Mais cette position "humaniste" et "rationnelle" est loin d'être, contrairement à ce que croient dur comme fer ceux qui la véhiculent, universelle. Car on s'aperçoit vite qu'il y a des peuples, ou des groupements, avec qui apparemment il faut faire des amalgames (consciemment ou inconsciemment): les Ricains, les capitalistes, et tout ce qui peut d`être taxé de rétrograde : ainsi, par exemple, si un VIP parmi 290 millions individus se retrouve accusé de pédophilie (ce qui reste à prouver), il est évident qu'il est tout à fait normal d'utiliser ce fait comme arme contre les 289.999.999 autres membres de la population.

Pour France 2, l'arrestation de Saddam est… une "humiliation" pour "chaque Irakien" (!)

Le 14 décembre 2003, le monde entier apprend que la veille, Saddam Hussein avait été capturé, à la grande joie de la plupart des Irakiens ("un jour de joie pour mon peuple", écrit Haitham Rashid Wihaib). Enfin, pas tout à fait, en tout cas pas selon les infos télévisées étatiques françaises. Car comment réagit France 2 ? La visite médicale du dictateur boucher par un médecin militaire américain est ressenti comme "une forme d'humiliation" en Irak, apprend-t'on par les infos de 20 heures, qui précisent que "chaque Irakien se sent humilié". Rien que ça. Et les familles des victimes massacrées dans les caves des géôles du Raïs, elles se sentent humiliées, elles aussi? Et en ce qui concerne les citoyens dont le lot quotidien comprend certes pénuries d'eau et d'électricité, ainsi que la présence de bandes criminelles et d'assassins, doit-on pleurer sur un sort qui ne comprend plus une police stalinienne omniprésente qui pouvait, impunément, enlever un parent, un époux, ou un enfant à tout jamais? Il parait qu'aujourd'hui, l'Irak doit faire face à "l'insécurité". Il est sûr que le fait de pouvoir être arrêté, torturé, et occis à n'importe quel moment de la journée, tout au long de l'année, ne représentait d'aucune façon l'insécurité. N'est-ce pas?

PS : Décidément, il ne faut s'étonner de rien. Deux jours après, France 2 récidive, en interrogeant des gens dans les pays arabes, au Vatican ("un cardinal"), aux propres États-Unis ("des vétérans"), qui s'offusquent (!) des images du barbu dans le cabinet médical et qui pensent que le malheureux Saddam aurait été traité "comme une vache". Les Américains n'auraient-ils pas plutôt pu diffuser des images du Raïs après qu'ils l'aient rasé et habillé en costume? demande le correspondant de France 2 à Washington, tandis qu'un éditorialiste au Monde prend ombrage et affirme que si cette "contemplation … ne vous a pas mis légèrement mal à l'aise … c'est que vous êtes encore un être humain" (!) . Oui, MM. Sampair et Dhombres. Moi aussi, mes yeux se remplissent de larmes pour le traitement "inacceptable" (adjectif très à la mode dans l'Hexagone) réservé à ce pauvre homme "humilié". Et comme d'habitude, il est clair que les êtres les moins "humains" sur cette planète, ce ne sont pas les autocrates, les dictateurs, et les tueurs en série (par séries de dizaines de milliers dans ce cas-ci) de toute espèce, non, ce sont (vous faites bien de nous le rappeler) les Yankees.

PS 2 : Lors d'une récente discussion (mélangeant pêle-mêle athées, chrétiens, et juifs), tout le monde s'accorda que c'est une bonne chose que le Raïs ait été mis hors d'état de nuire. Et voilà, soudain, qu'il y a une pointe d'émotion. "C'était honteux (et inutile) de l'humilier ainsi", s'exclama une Française, avant de procéder à une comparaison avec la seconde guerre mondiale : "Même les accusés de Nuremberg ont eu le droit de se défendre dignement." À cela, on peut répondre plusieurs choses. Le procès de Nuremberg commença six mois après la fin de la guerre (et donc aussi après la capture des accusés) et dura quatre ans en tout. Qui peut vraiment croire que Saddam Hussein ne sera pas bien habillé et rasé lorsqu'il sera au banc des accusés (de juin 2004 à 2008, si on utilise une période de temps similaire à celle du procès des Nazis)? D'une plus grande importance, qu'est-ce qui nous garantit que Göring, Ribbentrop, Keitel, Schirach, et leurs sbires n'ont pas dû souffrer quelques "humiliations" lors de leur capture? Personnellement, si je devais apprendre que cela avait été le cas, je suis forcé d'avouer que je ne perdrais pas beaucoup d'heures de sommeil, surtout s'il s'avèrait que "les humiliations" en question se bornent à une "visite médicale" (même filmée) par un médecin militaire allié.

Cette discussion me rappelle les nombreuses fois où des Français m'ont dit, laconiquement, "C'est vrai que c'est bien que Saddam ne soit plus au pouvoir, mais je ne suis pas sûr que la guerre était la bonne solution" pour ajouter, dans la foulée, mais d'une voix soudainement remplie d'une émotivité violente, "(de toutes façons) Bush, c'est un malade [ou] un abruti!"

Ainsi, on commence par un appel à une vision qui se veut spirituelle du monde — que les hommes ne sont pas Dieu, qu'ils n'ont pas la reponse a tout, qu'il faut élargir ses horizons, qu'il faut rester humble, se poser des questions, et ne pas se fier à ses premières émotions, etc… Étrangement, cet appel à la spiritualité de l'Homme disparait aussitöt que… l'on parle des Américains et des capitalistes ! En résumé, comme je l'ai écrit ailleurs, les conversations et les arguments ne servent pas à grand chose. Ce qui importe ici, c'est que la réaction négative, d'incompréhension, de révolte, etc, est toujours vis-à-vis des Américains, de Washington, et/ou des capitalistes (ceux auxquels on ne s'identifie pas). C'est une atmosphère qui prévaut en France (entre autres), et les conversations et les arguments n'y changeront jamais rien, puisqu'elle a l'avantage (si tel est le bon mot) d'être (ô combien) auto-congratulatoire.

Les Américains, responsables de tous les maux

Sur la une du Monde du 6 septembre 2003, on apprend que Kofi Annan appelle les États membres du Conseil de sécurité à dépasser « les rancoeurs et les divisions », causées — ajoute le quotidien — par la décision américaine de partir en guerre en Irak contre l'avis du Conseil. Comme tout est clair : sans la décision de Bush, il n'y aurait pas de rancœurs et de divisions au sein de la communauté internationale, et tous les problèmes pourraient être sur la voie d'une solution générale et harmonieuse.

Les Américains, Toujours Aussi Aveugles

Sur la une du Monde du 2 septembre 2003, un analyse est intitulé Etats-Unis, début d'autocritique. Même pas besoin de lire l'article pour savoir que nous sommes encore devant une opinion du genre "si la puissance américaine n'était pas aussi sûre d'elle-même, ou aussi bête, ou aussi têtue, ou aussi aveugle, voilà déjà longtemps que (à l'image d'êtres visionnaires tels que nous-mêmes) ses citoyens se seraient mis à se poser des questions". Parmi les conclusions qu'on en tire rien qu'en lisant le titre : Les peuples sont des entités quasi-monolitiques et plus ou moins homogènes (les Américains étant pour la plupart bien sympatiques, mais des incapables, et les Français démontrant, de leur côté, une capacité étonnante à raisonner et à s'auto-critiquer).

Confirmation faire après lecture de l'article, qui contient des expressions telles que "ce niveau de mobilisation [militaire] n'est pas critiquée dans l'opinion américaine". Ce serait seulement après un énorme choc, ce serait seulement après les attaques du 11 septembre, ce serait seulement dans des circonstances exceptionnelles, que ces zombies myopes et têtus que sont les Américains commencent, lentement (très lentement), à se ronger les méninges pour s'auto-critiquer.

Mais de quelle planète débarque Patrick Jarreau? Mais que croient les étrangers?! Que les journaux, et les médias, et la vie de tous les jours ne sont pas remplis de critiques émis par les Américains (ou de citoyens américains) à l'intention de George W Bush, Donald Rumsfeld, et leurs pareils?! Croient-ils vraiment que la Maison Blanche est épargnée par les blagues des comédiens dans les journaux et à la télévision nationale!? C'est hallucinant.

(Dans le même numéro du quotidien de référence, un article sur le Parti Populaire évoque "le soutien inconditionnel de l'Espagne aux Etats-Unis lors du conflit irakien" (souligné par moi). Que veut dire cet adjectif de Martine Silber? Qu'une fois la guerre commencée, le gouvernement de Madrid aurait dû passer son temps à enquiquiner le QG américain (comme le fit un certain allié de Churchill et Roosevelt durant la Seconde Guerre Mondiale)? Que José Maria Aznar était une caniche aveuglée par les Américains qui perdait tout sens des proportions (et des considérations électorales) quand Rumsfeld était dans la même pièce que lui? Que le premier ministre aurait envoyé l'entière flotte espagnole à Basrah si Dobeuliou le lui avait demandé? Non, tout ça serait ridicule ; en fait, l'utilisation d'adjectifs et d'expressions absolus comme celui-là n'est que l'une des manières pour toujours caricaturer tant l'Amérique que ses alliés, en mettant tant les uns que les autres constamment en porte à faux.)

"Acharnement" des Autorités Américaines

Suite à la "blague" d'un copilote d'Air France à propos d'une bombe imaginaire dans sa chaussure à l'aéroport JFK de New York, les infos de France 2 évoquent, le 10 août 2003, "l'acharnement des autorités américaines" à le poursuivre, et interrogent un passager qui pense que c'est parce que Philippe Rivière est français que Washington l'a "puni". Pourquoi? Croit-on que les autorités aéroportuaires françaises réagiraient différemment si on faisait une telle farce dans l'Hexagone? Et cela, que son auteur soit un pilote ou un passager, un Français, un Américain, un Allemand, ou tout autre?