2012/05/03

Interview Enquête & Débat

Une interview réalisé par Jean Robin sur le site Enquête & Débat :

E&D : Erik Svane, vous êtes un Américain à Paris, et vous vous occupez de plusieurs blogs : Le Monde Watch et No Pasarán, notamment.
Pourquoi tous ces blogs ?

Je suis écrivain, je suis journaliste, je suis scénariste, et ces blogs c'était, et c'est, la seule façon d'être 100% sûr de m'exprimer en public et de commenter les infos — et parfois de commenter… l'absence d'infos. Pas seulement en tant qu'américain (je suis aussi de nationalité danoise, après tout), mais tout simplement comme individu qui réfléchit et qui utilise sa cervelle. Tout de suite après les attentats du 11 septembre, j'ai senti une montée de l'antiaméricanisme — et cela bien avant l'intervention en Irak (même avant la fin de l'année 2001) — notamment par l'emploi, péjarotif, du mot cow-boy, qui revenait sans cesse dans tous les journaux, de droite comme de gauche.

J'ai donc écrit un essai qui faisait tout simplement valoir que (c'était aussi le titre du papier) Parfois le Cow-boy a raison. Cet article, ou une version plus courte, j'ai essayé de le faire publier dans tous les grands quotidiens, dans plusieurs magazines, mais sans le moindre succès, et même en rencontrant pas mal de réactions négatives. (J'ajoute que je ne trouve nullement surprenant que les rédacteurs divers rejettent un article à moi ou cet article particulier — voire qu'ils le raccourcissent avant publication —, mais qu'ils donnent la parole au moins à une personne de temps en temps qui ne soit pas foncièrement antiaméricaine ; la diversité, et tout ça…) Au siège du Figaro, par exemple, les rédacteurs m'ont pratiquement jeté dehors physiquement (ils ont pris le papier, me l'ont mis à la poubelle devant mes yeux, et m'ont pris par le bras jusqu'à l'ascenseur).

C'était à l'époque de la montée des blogs, et donc j'ai commencé à blogguer — comme l'ont fait nombre de conservateurs aux États-Unis, pays où l'ensemble des médias sont de gauche et où les gens de droite n'ont pas été beaucoup entendus avant l'avènement de l'internet, époque qui marque un début de fin du monopole de la gauche en ce qui concerne la présentation des infos.

Puisqu'il semblait impossible de faire connaître ma voix dans les journaux, j'ai travaillé sur ces blogs et j'ai aussi écrit un livre sur l'antiaméricanisme en France et à travers le monde. La Bannière Étalée fait 400 pages (on peut lire un extrait ici)… (Pour la petite histoire, je suis aussi scénariste de bandes dessinées…)

J'ajouterai que si d'aucuns voudraient éventuellement avoir une vision autre que caricaturale des Américains, et surtout des conservateurs et des habitants de l'Amérique profonde, ils devraient visiter le blog Instapundit de temps en temps…

E&D : Que pensez-vous du traitement médiatique de l'élection présidentielle ?

Le problème, comme aux États-Unis, c'est que la plupart des journaux, comme la plupart des journalistes, sont de gauche ou, si l'on préfère, le problème c'est qu'ils sont partisans de "la confiance dans les interventions de l'État-providence" et que pour eux, "la confiance dans la responsabilité de l'individu" est quasi-inexistante, voire inimaginable.

E&D : Que pensez-vous de l'élection présidentielle 2012 ?

Mathieu Laine l'a très bien exprimé dans Le Monde :
Cette campagne fait … figure d'exception. Non seulement par l'unanimité et la violence de son hostilité aux idées libérales, mais également parce qu'il n'y a guère plus qu'en France que l'on raisonne encore sur le seul axe « droite-gauche » et non sur une opposition « croyance dans l'Etat-confiance dans l'individu ». Nos représentants politiques, tous bords confondus, demeurent en effet rivés aux anciennes recettes, aux vieilles querelles, et rivalisent, tous, de promesses d'interventions publiques quand le reste du monde teste des solutions nouvelles.

… la France, avec ses 54 % de dépenses publiques, contre 43 % en moyenne parmi les pays membres de l'OCDE, semble « en plein déni », comme le titrait récemment et très justement l'hebdomadaire The Economist ... En France, à l'inverse, les plus bas instincts sont flattés. L'envie et la peur sont les deux mamelles auxquelles viennent s'abreuver les marchands de protections. Des 75 % délibérément punitifs de François Hollande aux ambitions protectionnistes de Nicolas Sarkozy, sans oublier les débats à mille lieues des exigences contemporaines sur la viande halal ou l'espace Schengen, les vrais sujets sont évacués et la démagogie vit ses plus belles heures.

Pourtant, la pensée libérale … qui fait reposer les relations sociales sur le primat de la liberté individuelle, et donc sur la responsabilité, a fait largement ses preuves et constitue un réservoir d'idées et d'innovations pertinentes pour qui veut, notamment en économie ouverte, relancer un pays, recréer de la croissance, restaurer le plein-emploi et assurer l'épanouissement humain.
E&D : La France est-elle devenue socialiste selon vous ?

Depuis longtemps, 5000 ans en fait, la vaste majorité des pays, des communautés, sont étatistes, mais il est vrai qu'en Europe, la France a encore moins confiance dans les capacités de l'individu que les autres pays, par exemple le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les pays scandinaves, et qu'elle est bien plus méfiante par rapport au marché libre et à ses capitalistes supposés diaboliques… C'est quand même aberrant de savoir que les Français défendent encore le système communiste chinois et que, selon un sondage récent, les habitants de la Chine elle-même font plus confiance dans le marché libre que les Français.

E&D : Où en est l'anti-américanisme en France ? Y a-t-il une différence entre la position des élites (médias, politiques) et du peuple ?

Le problème avec l'anti-américanisme, c'est que ce sont les élites qui instruisent le peuple, avec leurs antiracistes professionnels, leurs humanistes patentés, et leurs champions de la générosité inégalables. Ainsi, grâce aux médias et à l'Éducation nationale, les Français "savent" que l'Amérique est un enfer cauchemardesque de racisme, ils savent que que l'Amérique est un enfer cauchemardesque du point de vue de la santé, ils savent que que l'Amérique est un enfer cauchemardesque du point de vue du capitalisme, avec des milliers et de milliers d'Américains souffrant de la façon la plus atroce (et qui ne doivent rêver que d'une seule chose, émigrer le plus vite possible dans l'Europe humaniste à souhait et généreuse jusqu'aux cieux). Thierry Meyssan n'a pas quitté la scène, il y a toujours la malbouffe, et tout reste toujours la faute de Deubeliou. Tenez, cette année l'opposition de Villepin à Bush et à Rumsfeld était comparée à celle de De Gaulle à Pétain et Hitler, et l'année dernière, Oussama Ben Laden était comparé à "un Clint Eastwood arabe, un Robin des bois musulman".

E&D : Un candidat comme Mélenchon est-il possible aux Etats-Unis ?

En tout cas, pas mal de monde disent que Barack Obama est l'équivalent de Jean-Luc Mélenchon, avec ses nationalisations, son incapacité de comprendre les bases de l'économie (sauf à travers le prisme de la diabolisation des riches), sa prédilection pour la lutte des classes, et ses autres contes de fée gauchistes (genre l'Amérique, ou l'Occident, est (le seul) coupable de tous les maux du monde depuis la Seconde Guerre Mondiale).

E&D : Le virage socialiste de Marine le Pen sera-t-il payant électoralement ?

Sans doute, mais avez-vous entendu ce que Marine Le Pen a dit au New York Times ? Que Barack "Obama est loin à droite [!] de nous" ?! Par ailleurs, je ne raffole pas trop de son attitude en ce qui concerne les affaires étrangères. Elle souhaite que la France se "tourne vers la Russie" tout en "tournant le dos aux Etats-Unis". Elle devrait partir en voyage en Pologne, en Lituanie, et dans la République Tchèque, où cette attitude envers Moscou rendra sans doute la France très populaire. Comme je l'ai dit dans mon livre, je crois que bon nombre de Lettons, de Slovaques et de Roumains auraient bien aimé souffrir (comme l'ont fait tant de malheureux Ouest-Européens) sous ces fléaux terribles — horribles, vous dis-je — que sont Hollywood, McDonald's, Bill Gates, et une souris nommée Mickey.

E&D : Sommes-nous en démocratie en France selon vous ?

Ah, absolument. Mais… ce n'est pas forcément une bonne chose. Et avant qu'on m'accuse, hystériquement, d'être anti-démocratique, ou monarchiste, ou dictatorial, laissez-moi m'expliquer. On a tendance à oublier que le summum du meilleur type de gouvernement n'est pas la démocratie — contrairement à ce que nous font penser les gauchistes, tant en Amérique qu'en Europe, depuis un siècle ; c'est la république. ( Il s'agit de la République Française, les États-Unis sont décrits comme une république tant dans la Déclaration d'Indépendance que dans leur Constitution…)

Alors quelle est la différence ? On a d'un côté la pire des gouvernements, qui est la dictature ; de l'autre, on a la meilleure, qui est la république (mais qui pourrait éventuellement prendre la forme d'une monarchie constitutionnelle). Entre les deux se trouvent d'autres formes de gouvernements, comme l'oligarchie (qui est plus proche de la dictature) et la démocratie (qui est tout de même plus proche de la république). Il y a une série de vidéos excellente qui explique le côté trompeur de la vision gauche/droite et que je recommande tout particulièrement. Si on peut ignorer son côté patriotique américain et le fait que la vidéo (d'une demi-heure environ en tout) a été produite par la John Birch Society, on découvre une approche étonamment fraîche et lucide de la différence entre les formes variées de gouvernenent.

Mais pourquoi la démocratie — le gouvernement par le peuple — ne serait pas la meilleure des gouvernements ? La raison c'est que le peuple, la foule, the mob, les excités, peuvent être menés, ne fût-ce que temporairement, par le bout du nez par des démagos — que ce soit les élites ou les médias — ou tout simplement par des personnes certes bien-intentionnées mais qui peuvent s'être trompés. Du coup, la démocratie peut devenir, ne fût-ce que temporairement, l'équivalent d'une autocratie ou d'une oligarchie.

Pour citer John McManus (5:45—7:00), la démocratie, c'est le groupuscule de citoyens (the posse) qui se lancent à la poursuite d'un hors-la-loi et qui, l'ayant attrapé, décident (majoritairement) de le lyncher à la branche d'un arbre ; la république, c'est le même scénario, mais avec le shérif qui intervient et qui insiste que l'outlaw soit ramené (vivant) dans la ville et jugé dans un tribunal. En d'autres mots, pour que le hors-la-loi (présumé) garde tous ses droits.

Par exemple : si la gauche a eu autant de succès aux États-Unis depuis les années 1960, sinon politiquement du moins culturellement, c'est que la presse est dominée presque entièrement par des gauchistes — ou par des Étatistes. (La grande croisade contre Fox News, tant en France qu'aux États-Unis ("les gens avec qui je discutais n'étaient jamais — ô grand jamais! — allé voir cette chaîne ; ils basaient leur attitude exclusivement sur ce qu'on leur avait appris"), est dûe à une aversion des gauchistes contre quiconque pourrait contrecarrer la pensée unique — exactement comme c'est le cas pour le politiquement correct en France.)

Alors qu'est la République ? La République c'est le gouvernement par les lois. La république suggère la présence d'une Constitution, et cette constitution suggère une énumération de droits basiques qu'aucune foule ne peut piétiner, qu'aucune majorité gouvernementale ne peut renverser, fût-ce temporairement.

La révolution américaine de 1776, c'est le message des Britanniques dans les colonies de l'Amérique à leur roi qu'ils sont parfaitement capables de se diriger eux-mêmes, qu'ils auront eux-mêmes leur mot à dire sur le taux d'impôts qu'ils auront à payer à George III, et que si sa majesté ne veut pas accepter cela, ces Britanniques renonceront à la mère-patrie et déclareront leur indépendance.

Mais qu'y a-t'il d'autre de présupposé dans la thèse de la République ? La prémisse de la République, c'est que l'homme est bon. C'est que l'homme est intelligent. C'est que l'homme, ou tout du moins, le citoyen moyen, est indépendant et éminemment capable de prendre soin de lui-même. Et qu'a priori, on peut faire confiance aux autres êtres humains.

Dès lors, nous comprenons pourquoi aujourd'hui, tant en Amérique qu'en Europe, il est tellement nécessaire, tellement fondamental, de bannir la religion de la "chose publique" (de la res publica) et de diaboliser ou de ridiculiser tant les prêtres que les croyants. Toutes les croyances diverses issues de la civilisation judéo-chrétienne se basent sur des pensées égalisatrices, dont l'expression la plus positive est que chaque homme (et chaque femme) est un être bon, un être pur, un enfant de Dieu, et dont l'expression la plus négative est que nous sommes tous des vilains pécheurs. Dans tous les cas, il est difficile sinon impossible pour le gauchiste, ou pour l'étatiste si vous préférez, d'avancer que le citoyen moyen est un abruti et/ou une victime, alors que les méchants riches sont des êtres monstrueux ; et que tout ce lot d'humanité a besoin d'être guidé par un homme providentiel et par les dirigeants de son parti (ainsi que par son armée de fonctionnaires) qui vont écrire toutes sortes de lois pour réguler notre vie, pour "notre bien", pour le bien de tous.

Si tout le monde est un enfant de Dieu et/ou si tout le monde est un pécheur, il est beaucoup plus difficile de défendre la vision d'une masse de citoyens moyens (abrutis à souhait), d'une masse de victimes, d'une masse de rapaces, d'un homme providentiel venu sauver les uns en contrecarrant les projets des autres, tout en régulant chaque partie de la vie du citoyen. Il y a certainement beaucoup de raisons valables pour s'opposer à la religion et il est parfaitement légitime de mettre en cause la participation de religieux dans la politique. Mais du coup, la question que se pose souvent la gauche (mais seulement, de façon unilatérale, par rapport à leurs adversaires), "Quelle est la vraie raison pour la position d'Untel ?" (en suggérant que celle-ci ne peut qu'être hypocrite), devrait aussi être posée par rapport à leur propre opposition à la religion (même si pour beaucoup de membres de la gauche, la réalité de cette opposition n'est pas consciente).

Un bref mot sur les monarchistes d'aujourd'hui : si les monarchistes soutiennent une monarchie parce qu'ils voient le danger et les incohérences de la foule et/ou d'une majorité menée par des démagos, et que par conséquent ils soutiennent une monarchie de type disons constitutionnelle, je dirais que c'est une bonne chose. Mais s'ils supportent la monarchie parce qu'ils veulent leur propre type d'homme providentiel (un roi qui serait leur propre Che Guevara, leur propre Obama), c'est-à-dire s'ils croient eux aussi (!) que le peuple est composé d'abrutis qui ont besoin d'un saint pour les guider, je dirais que c'est une mauvaise chose.

Depuis de longues années, j'ai cherché l'idée qui exprimerait le mieux en une seule phrase le gouvernement idéal pour les êtres humains. Et après des années de recherche, je pense l'avoir trouvé dans le livre de Harry Jaffa, A New Birth of Freedom.
[In Abraham Lincoln's 1854 Peoria speech lies] the meaning of the rule of law as it arises from the proposition that all men are created equal. Those who live under the law have an equal right in the making of the law, and those who make the law have a corresponding duty to live under the law.

"Ceux qui vivent sous la loi ont un droit égal à la création des lois, et ceux qui font la loi ont un devoir correspondant de vivre sous la loi."
Réfléchissez à cette phrase, et vous verrez qu'elle s'applique à toutes les décisions d'un quelconque gouvernement, où et quel qu'il soit.

Prenons un exemple qui n'est a priori ni de droite ni de gauche et qui pourrait paraître anodin : la limitation de vitesse. (En France comme aux États-Unis comme ailleurs.)

Ces derniers temps, j'ai dévolu beaucoup de posts sur Le Monde Watch aux radars et à la répression des conducteurs sur les routes.

Par rapport à la citation de Harry Jaffa, par exemple, tout le monde reconnaîtra que "ceux qui font la loi" ne se font pas "un devoir correspondant de vivre sous la loi" ; si nos élus, ou si leurs chauffeurs, dépassent la limite de vitesse, tout le monde sait qu'a priori leurs effraction ne sera pas constatée, ils ne recevront pas de PVs, et ils ne perdront pas de points. Tout comme les policiers eux-mêmes, par ailleurs.

C'est ici que la plupart des citoyens font une erreur. Ils disent que cet exemple de deux poids deux mesures est scandaleux (ils ont raison) mais ils demandront ensuite, ils exigeront que ces élus soient traités comme nous. Or, il s'avère que ces élus, ou que leurs chauffeurs, ont raison de ne pas être inquiétés — puisque ces effractions, nous le reconnaissons tous, ne sont d'aucune gravité et que le système de répression est trop sévère. Il ne s'agit pas de demander à ce que les grands soient traités comme nous, il ne s'agit pas de rabaisser les autres. Non, il s'agit par contre de nous relever ; il s'agit d'exiger que nous soyions traités comme eux.

Et voilà la première partie de la citation de Harry Jaffa — celle que nous oublions trop souvent : "Ceux qui vivent sous la loi ont un droit égal à la création des lois". Il y a par ailleurs beaucoup de gens dont la première, la seule, réaction est de dire "eh ben c'est la loi, y'a qu'à l'obéïr" (par exemple, "c'est simple, y'a qu'à faire comme moi, je dépasse jamais 130 km/h"). Il n'y a pas le moindre désaccord, là. Pas le moindre. Mais est-ce que lces citoyens-là, est-ce que les citoyens en général, ont mis au courant de tous les tenants d'un problème particulier ?

Par exemple, les gens sont sous l'impression que la limite à 130 km/h est une espèce de chiffre magique, une vitesse qui serait la vitesse de sécurité par définition. (C'est le résultat de la pensée unique, le résultat de ne pas avoir eu de vrai dialogue sur un sujet particulier.) Or, dans le cadre de la limite à 130 km/h, la vitesse date des années 1970, à l'époque de la DS et du Ford Falcon, avant l'avènement de véhicules plus sûrs équipés de toutes sortes d'innovations comme les freins ABS, les airbags, et les pneus qui n'explosent plus. Imagine-t'on les lois et réglémentations sur les téléphones, les portables, les iPhones d'aujourd'hui étant les mêmes que celles régissant cette industrie en 1970 ?!

Par ailleurs, il s'avère que la limite de 130 km/h n'a pas été instaurée pour des raisons sécuritaires du tout, mais pour répondre à des besoins économiques — la crise du pétrole causée par l'OPEP —, et cela par décret de l'Élysée (et non pas par vote des élus du peuple dans l'Hémicycle, donc), lequel Georges Pompidou avait promis de s'en défaire un an ou deux après la fin de la crise. D'aucune façon ne peut-on dire, donc — ni aujourd'hui ni même dans les années 70 — que la première partie de la citation de Harry Jaffa s'applique à la limite de vitesse de 130 km/h.

Que les gens qui conduisent trop vite soient punis, certes. Que les chauffards perdent des points sur leurs permis, pourquoi pas ? Que des limites de vitesse dans certains endroits restent les mêmes qu'il y a 40 ans — voire qu'elles soient réduites par exemple en ville (ou dans certaines villes) —, pourquoi pas ? Mais que ce soit fait avec l'aval de l'ensemble des conducteurs, l'ensemble des citoyens (conducteurs ou non) — après qu'ils aient été dûment informés de toutes les informations concernant une question particulière…

Par exemple, les citoyens (oui, même ceux qui n'ont pas de voiture et qui ne conduisent pas) seraient-ils d'accord pour dépenser autant d'argent sur les radars s'ils savaient que deux radars sur trois ne sont pas placés à des endroits dangereux et que, par ailleurs, il y a eu des instances où ils semblent causer des accidents ? Seraient-ils d'accord pour avoir tous ces gendarmes et policiers sur les routes (afin d'en faire des percepteurs — du propre aveu de l'un des syndicats de la police nationale) en train de matraquer les citoyens honnêtes, s'ils savaient que cela signifie autant de représentants de l'ordre en moins pour le combat contre la criminalité ? Seraient-ils d'accord pour garder le système actuel s'ils connassaient le cauchemar des erreurs et des amendes injustifiées, s'ils savaient à quel point contester ses PVs est compliqué, s'ils savaient que l'automobiliste se voit refuser le droit de se défendre, et s'ils étaient au courant de l'exaspération des automobilistes qui dénoncent la répression et le racket et le fait que les Français sont traités comme des enfants ? Seraient-ils d'accord que tant de dizaines de milliers de citoyens perdent leurs permis et leur outil de travail — et par extension, leurs travail tout court — pour des bagatelles sans gravité à cause du système de répression extensif mise en place ?

Les citoyens seraient-ils contre le fait de hausser la limite de vitesse sur autoroute, ces chaussées les plus sûres de France (dixit la Ligue de Défense des Conducteurs, qui demande des limites à 150, voire 160 km/h) s'ils connaissaient le problème de la somnolence sur route (et donc, de cette limite qui de fait est devenue une vitesse… soporifique) et s'ils savaient que déjà dans les années 1960 — il y a un demi-siècle ! — il y avait des appels pour abolir "les limites de vitesse stupides" — car les études des Américains montraient que dans les États des USA où les lois étaient plus libérales, il y avait moins d'accidents ? (Parce que les conducteurs lambda ne souffraient pas de la distraction de craindre la police de la route, ceux-ci étaient plus en sécurité que les conducteurs dans les États avec plus de répression, distraits par la nécessité de surveiller la route pour les voitures de police.) Seraient-ils d'accord avec le grignotage des libertés civiles et publiques élémentaires comme celles du droit à la vie privée et à la présomption d’innocence ainsi qu'avec l'intention beaucoup moins avouée de renflouer les caisses de l'Etat ?

"Ceux qui vivent sous la loi ont un droit égal à la création des lois."

Tout ce dont nous venons de parler, c'est le message des Tea Partiers aux USA, dont la devise de base pourrait être : "Je ne suis pas une vache à lait !" (Un équivalent français est le journal Le Cri du Contribuable.) C'est précisément parce que les politiciens professionnels — tant à l'étranger qu'aux États-Unis mêmes ! — savent que la fête risque d'être terminée si les thèses des Tea Partiers se généralisent qu'il s'agit de les diaboliser à tout prix, ces Tea Partiers (en les traitant de racistes, de badauds, etc), de les descendre, de les ridiculiser…

E&D : Qui va gagner l'élection présidentielle selon vous ?

J'ai bien l'impression que ce sera François Hollande, mais Nicolas Sarkozy a toujours été capable de faire des surprises… Par rapport au débat, je pense tout de même que Hollande n'a pas été présidentiable. Qu'il interrompe Sarkozy quelques fois, c'est acceptable, mais là, cela semblait vraiment être de façon systématique, et attendre que cela fût son tour pour refuter les arguments de Sarkozy aurait été plus présidentiable, à mon avis.

E&D : La France est-elle foutue, ou bien a-t-elle encore un espoir et si oui lequel ?

Comme je l'ai dit, l'État socialiste, l'État dirigiste, l'État interventionniste, l'État des fonctionnaires qui régulisent notre vie pour notre bien, c'est ça la norme, ça a toujours été la norme, et ce depuis 5000 ans. La liberté, voilà quelque chose qui sort des normes, voilà ce qui est une chose extraordinaire — et dès qu'elle apparaît, toutes les médias et les élites de l'ensemble des États dirigistes font valoir que c'est en fait un enfer cauchemardesque, que ce sont les gens qui vivent dans cette anse de la liberté qui sont foutus (voir la description, dans l'Éducation Nationale, de l'enfer cauchemardesque que vivent les pauvres Américains quotidiennement). Il faudra toujours lutter pour faire trimpher la liberté dans tel ou tel pays, et quand une ombre de liberté apparaîtra, tout de suite des groupuscules (le plus souvent, une armée de fonctionnaires) vont essayer de grignoter, nullifier ces libertés. C'est une lutte interminable…

E&D : Merci d'avoir répondu à nos questions

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