Il est possible, insiste
Stéphane, "même pour moi", d'avoir une conversation courtoise et mesurée avec de parfaits inconnus sur les élections américaines.
Ce n'est pas si difficile. En Europe, grâce au merveilleux travail de la presse, les gens ne connaissent rien de John McCain. Quant à Obama, on n'en sait rien non plus sinon qu'il est génial et qu'il sauvera le monde. On peut ne pas être d'accord mais il reste possible de gloser sur des sujets connexes: la nouveauté historique de l'élection d'un homme de couleur au poste de Président, le renouveau du Parti Démocrate, le fort taux de participation...Pas pour Gilles [le nouveau membre dans l'équipe de Stéphane pendant son premier déjeuner de la boîte dans une tablée de huit].
Le marronnier Obama est à peine sur la place que Gilles commence, avec un rictus, à dénigrer ces "salauds" d'Américains. Tous. Obama ou un martien, peu importe, qu'ils aillent au diable. "Quand on voit tout ce qu'ils ont fait en Amérique du Sud..." lance-t-il d'un air entendu (amenant des hochements de tête d'approbation.)
Peut-être que l'intégration dans l'équipe est réussie, finalement. Haut la main.
Je mâchonne en silence. J'avais, comme tous les prisonniers en terre ennemie, l'espoir qu'un changement ne pourrait amener qu'une amélioration. Espoir déçu. Un clone de plus. A partir de cette réplique, je me contente de la boucler. Cela ne sert à rien de discuter: je connais le bestiau. Je peux finir ses phrases — et je m'amuse à le faire en pensées sur ses répliques suivantes.
Une anecdote de peu d'importance, je l'admets. Mais creusons un peu. Dans quel milieu, dans quelle société saine un nouveau venu peut-il sceller une amitié de connivence avec de parfaits inconnus en répandant sa haine sur un peuple du monde? Si Gilles avait dénigré ses salauds d'Ouzbeks ou ces chiens d'Ukrainiens, cela aurait levé quelques sourcils. Mêmes pour d'autres peuples plus dominateurs, comme les Chinois, par exemple. Et s'il avait craché sa haine des Juifs, il aurait pu craindre une mise à pied instantanée et des poursuites pénales.
Mais en Suisse — et, je suis prêt à le parier, dans une bonne partie de l'Europe — en 2008, pour s'intégrer, il faut être anti-américain.