Le 30 avril, [le président de la République] a annoncé des mesures en faveur des entrepreneurs,
conscient de la mauvaise image de l'Etat français dans le monde des
affaires
écrit
Marion Van Renterghem dans
Le Monde.
Les a encore cajolés lors de sa conférence de presse, jeudi 16 mai.
Il y a soudain un sentiment d'urgence. Un french bashing
venu de toutes parts. Une rumeur du monde de plus en plus pesante sur le
climat "anti-entreprises" en France. Des mesures fiscales affichées
comme des symboles politiques et devenues un chiffon rouge surnommé "75
%" dans les milieux d'affaires étrangers. Et derrière cette image
diffuse, une réalité : celle d'une grande blessée de la mondialisation
qui perd en influence comme acteur-clé de l'économie globale.
Le nombre de chômeurs a dépassé son record historique. La France
baisse dans le classement mondial en taille de produit intérieur brut
(PIB) par habitant. Sa balance commerciale est déficitaire, la
compétitivité de ses entreprises en grave déclin et le mouvement
s'accélère. "La cote d'alerte est atteinte", souligne Louis
Gallois dans son rapport de novembre 2012. Parmi les remèdes suggérés
par le commissaire général à l'investissement, il y a celui-ci : "Promouvoir la marque France."
CAPITAL IMMATÉRIEL
Le gouvernement se presse à son chevet. A Bercy et au Quai d'Orsay,
on s'active pour redorer cette part impalpable de l'économie longtemps
négligée en France : la marque, l'image, le capital immatériel. Que
l'aéroport de Roissy soit souvent la première vision de la France
offerte aux étrangers autorise à conclure qu'il était temps de réagir.
Dans la bataille économique mondiale, l'image compte autant que la
réalité, et elle bat de l'aile.
… Combien vaut la marque France dans un monde global ? L'aller-retour
en Belgique de Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH et
première fortune française, illustre le paradoxe d'un pays à deux faces.
D'un côté, la tentation de fuir une atmosphère générale jugée hostile
aux entrepreneurs et à l'argent, et qui envoie au monde ce profil-là. De
l'autre, la nécessité de revenir : parce que, pour vendre le luxe, le
vin, le tourisme, rien de tel qu'un étiquetage français. Dans ces
secteurs-là en tout cas, être français est un actif. Les industries qui
font le label France sont aussi faites par le label France.
Notre ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, est une
autre illustration de ce paradoxe. D'un côté, il pose en marinière pour
défendre le "made in France", se veut le réconciliateur de la patrie et
de l'entreprise, le promoteur des investissements étrangers. De l'autre,
il alimente une image française "antipatrons", s'attaque publiquement à
des chefs d'entreprise, critique la stratégie de Peugeot, accuse
Lakshmi Mittal, PDG du groupe ArcelorMittal, de pratiquer "le chantage et le mensonge", déclare qu'il ne " plus de Mittal en France".
Il vient maintenant de bloquer l'acquisition par Yahoo! de la
plate-forme française Dailymotion. Soutenu en cela par son collègue
Benoît Hamon, pas soutenu par son autre collègue Pierre Moscovici... …
LES ARTS, LES ARMES ET LES LOIS
Au départ, un constat. Qui est d'ailleurs une vieille histoire :
l'économie ne fait pas partie des mythes fondateurs français. Allez voir
la liste des grands hommes – parmi lesquels deux femmes ! –, inhumés au
Panthéon : ils sont écrivains, hommes politiques, scientifiques,
résistants, médecins, navigateurs, militaires. Entrepreneurs ou
capitaines d'industrie, jamais. On trouve bizarrement sur la liste un
banquier suisse du XVIIIe siècle dont personne ne se
souvient, Jean-Frédéric Perregaux, mais il trouva sa place dans le
temple républicain en vertu de son rôle dans la Révolution.
Un Rothschild ou un Rockefeller ne pourraient être affichés comme des
emblèmes nationaux en France. La ruée vers l'or, chantée par
l'Amérique, n'est pas un rêve français et ceux des Français qui en
rêvent sont gênés de le dire. A la conquête de l'Ouest et aux promesses
de réussite, on préfère les arts, les armes et les lois ; les droits de
l'homme, la République une et indivisible, la liberté universelle. Les
rémunérations indécentes de certains patrons ont accentué la méfiance.
Quand François Hollande déclare en 2006 qu'il "n'aime pas les riches",
il hérisse les entrepreneurs, les milieux d'affaires et une partie des
classes moyennes, mais il brosse la France dans le sens du poil. Il
renoue avec la vieille antienne d'une nation forgée par le catholicisme
et pour laquelle, contrairement aux Anglo-Saxons protestants, la
richesse est plus un scandale que la pauvreté.
Cette marque France, Philippe Lentschener a donc décidé de lui donner une orientation économique. "Si on n'est pas économique aujourd'hui, explique-t-il, on
disparaît. Plus le capitalisme est mondial, plus il faut affirmer sa
personnalité sur ce plan et dire qui on est. Sinon, les autres le disent
à votre place par des clichés, et c'est la catastrophe. Or nous sommes
le pays développé dont la personnalité économique est la plus faible. On
glorifie la recherche et les activités intellectuelles, mais on laisse
tomber la liaison avec le commercial. On invente le Minitel, la carte à
puce, 50 % de l'électronique embarquée sur le robot Curiosity, mais ce
sont les Américains qui font Apple, les Coréens qui font Samsung.
La question, c'est : où notre créativité se perd-elle ? Nous
n'avons pas l'humus culturel pour l'économie. On subit le french bashing
et on ne sait pas quoi répondre. Il faut une prise de conscience
consensuelle. La marque France, c'est ça : un récit économique national
dont on sera fier."
… En l'absence de ce récit, les clichés dominent. Comme dans les
éructations du PDG américain de Titan, Maurice Taylor, dans sa lettre à
Arnaud Montebourg de janvier où il accusait les salariés français de
l'usine Goodyear d'Amiens-Nord de prendre "une heure pour déjeuner, trois pour parler et trois pour travailler". L'hebdomadaire britannique ultralibéral The Economist n'en est pas loin, qui adore matraquer la France de "unes" sarcastiques.
Le Wall Street Journal ou le Financial Times (FT),
la bible des milieux d'affaires du monde entier, sont plus nuancés mais
ils ne sont pas seuls parmi les médias étrangers, allemands, indiens,
chinois, à décrire la France comme un pays ultraréglementé, qui pratique
les taux d'imposition les plus lourds de l'Union européenne, qui
surtaxe le succès, où les procédures administratives sont kafkaïennes,
où la main-d'oeuvre, productive mais coûteuse, est attachée au respect
de ses 35 heures, où le climat social est tendu et où on séquestre les
patrons.
Que ces caricatures soient fondées ou non, qu'il y ait une part de
propagande intéressée contre la France et la zone euro, cette presse
anglo-saxonne est qu'on le veuille ou non la plus influente du monde, et
elle porte l'esprit du temps. …
"A L'ÉTRANGER, LE CHIFFRE DE 75 % A MARQUÉ"
Est-ce la façon la plus efficace d'affirmer "l'oriflamme" française ? "Après les affaires Peugeot et Mittal, il a fallu ramer", confessent la plupart des sept représentants spéciaux du Quai, gênés. "Montebourg est la personnalité du gouvernement la plus connue à l'étranger. Ses sorties, ça n'aide pas", ajoute l'un d'eux.
Des mesures symboliques de la présidence Hollande ont conforté
l'image d'une France peu portée sur la création de richesses et réputée
ne pas rendre la vie facile aux patrons et aux sociétés, dont l'impôt
est de dix points supérieur à celui des concurrentes européennes.
L'accord récent sur le droit du travail ou la réduction de la taxe sur
les plus-values de cession (après la révolte dite des "pigeons") n'ont
pas compensé l'effet des fameux 75 % d'imposition sur les très hauts
revenus. "La fuite de Depardieu, le faux départ de Bernard Arnault, ça a fait très mal, dit Jean-Pierre Raffarin.
Vous imaginez un grand patron chinois, brésilien ou indien, s'expatrier
en le criant sur les toits ? Dans les pays émergents où il y a un fort
patriotisme, c'est incompréhensible."
"A l'étranger, le chiffre de 75 % a marqué, raconte Louis Schweitzer. Ce n'est pas compris. Il faut sans cesse expliquer qu'il ne concerne pas l'ensemble de la fiscalité française."
L'image, même fausse, crée une réalité. Les 75 % ne sont pas appliqués,
les 35 heures ont été largement assouplies, il n'empêche : "Quand ils évoquent la France, les hommes d'affaires étrangers la réduisent souvent à deux chiffres : 75 et 35", explique Alexis Karklins-Marchay, du cabinet d'audit Ernst ESPERLUETTE Young. "Les 75 % c'est possible, mais les Chinois ne m'ont jamais parlé des 35 heures comme d'un handicap", feint de s'étonner Martine Aubry, l'instigatrice de ces dernières... …
CE QUI MANQUE, C'EST UN ÉTAT D'ESPRIT
Infrastructures, qualité des ingénieurs, technologie, innovation,
créativité, productivité, qualité de vie, universalisme, luxe, vin,
patrimoine artistique, restent des marqueurs forts de l'image d'un pays
qui est par son PIB la 5e puissance mondiale, et 4e en fonction de la
place qu'occupent les très grandes entreprises françaises parmi les 500
meilleures mondiales – devant l'Allemagne, plus performante en PME.
Ce qui manque, c'est un état d'esprit. "Il faut accompagner
politiquement nos entreprises et que les grandes entreprises
accompagnent les PME, comme le fait l'Allemagne", note Martine Aubry. Nicole Bricq fait le même constat : "Au Koweït, on
m'a dit : "Je vais vous expliquer qui vous êtes, vous les Français :
vous êtes d'excellents ingénieurs et de très mauvais commerciaux. Vous
n'analysez pas la demande, vous êtes individualistes, vous venez nous
voir un par un, au lieu de vous regrouper comme les Allemands.""
"L'image de la France n'est pas dégradée car le pays est créatif, mais elle inquiète,
explique Dominique Senequier, présidente du directoire d'Axa Private
Equity, dont la société de gestion n'a pas séduit les clients étrangers.
L'instabilité fiscale, dont nous sommes les champions, s'est
aggravée par le train de mesures récent. Les étrangers ne peuvent pas
savoir avant d'investir quelle sera la valeur de l'entreprise. Du coup,
ils sont frileux." "La France est perçue comme un enfant fragile, insiste Clara Gaymard. Une
dépense publique à 56 % du PIB, un déficit à 3,7 %, le chômage à plus
de 10 % : ce n'est pas tenable. Avec les 75 % en plus, on donne
l'impression d'un pays à contre-courant de la réalité du monde, qui veut
punir ceux qui créent de la richesse. La France reste attractive. Le
socle des atouts est là. Mais il faut corriger une image qui va mal.
Vite."
La première grande étude comparative sur les marques des pays, leur
"capital immatériel", a été réalisée en novembre 2012 par Harris
Interactive auprès d'un échantillon de 1 000 leaders économiques et
leaders d'opinion internationaux. W, Ernst ESPERLUETTE Young, HEC Paris,
Havas Design+ et Cap en sont les concepteurs. L'image du pays, dit
l'étude, a un impact sur l'attractivité et la compétitivité, elle est un
ressort essentiel dans la compétition mondiale. …