Ah, on reconnaît les légendaires modestie et subtilité européennes, n'est-ce pas? Qu'on ne parle surtout pas d'arrogance dans un cas impliquant des Européens fustigeant ainsi un président et, à travers lui, tout un peuple (puisque Dobeuliou reste haut dans les sondages, la remarque touche, directement ou indirectement, tous ceux qui, en Amérique, le soutiennent).
Mais qu'importe! Tournons la page — littéralement. Sur le verso, nous découvrons une page entière consacrée à la crise en Côte d'Ivoire.
Rien qu'avec les titres, ça promet.
• La France et l'ONU impuissantes face à la crise en Côte d'Ivoire
• Les socialistes français prennent timidement leurs distances avec le "camarade" Gbagbo
On apprend dans le premier article que «la répression d'une marche de l'opposition ivoirienne, le 25 mars, [était] "une opération soigneusement planifiée" par "les plus hautes autorités de l'Etat", ayant fait au moins 120 morts, [et] le Conseil de sécurité n'a pris aucune sanction, ni même identifié un responsable.»
…un diplomate estimait que "le manque de professionnalisme" de l'enquête sur les tueries de la fin mars avait facilité la tâche à Abidjan. Il relevait, notamment, que tout risque insurrectionnel lié à la "marche" de l'opposition y avait été nié et que l'existence de "charniers" était évoquée, alors que les enquêteurs de l'ONU affirmaient n'avoir "pas eu le temps" de les localiser. …Tiens donc! L'ONU est impuissante?! Ah bon? Cette organisation n'était-elle pas celle qui, avec un minimum de bonne volonté, devait arriver à résoudre durablement les problèmes en Irak? Un pays et une région où il y a plus de contentieux qu'en Afrique de l'Est?
Ni la France ni l'ONU ne semblent plus avoir prise sur la réalité ivoirienne. Paris ne cesse pourtant de renforcer sa présence militaire avec 4 700 soldats contre 6 240 casques bleus pour l'ONU.
Tiens donc! Le rapport de l'ONU est trompeur et ses rédacteurs ont manqué de professionalisme? N'était-elle pas l'organisation envers qui l'Oncle Sam a montré de l'arrogance puisqu'il ne voulait pas mettre une confiance absolue dans les inspecteurs des armements qui devaient rendre compte de la fiabilité de Saddam Hussein?
Tiens donc! Ni l'ONU ni la France "ne semblent plus avoir prise sur la réalité ivoirienne". N'étaient-elles pas celles qui devaient avoir prise sur la réalité irakienne de Saddam Hussein (bien plus que les Américains), surtout avec sa meilleure connaissance [celle de la France] du monde musulman et de l'Afrique? Et l'Europe ne devait-elle pas être cette force modératrice qui aiderait à résoudre pacifiquement les crises qui ne manqueront pas d'éclater?
Si on voulait utiliser la même logique, les mêmes arguments, et les mêmes expressions que les militants anti-Bush, force est presque de déduire que ceux qui ont prôné l'intervention de l'organisation ainsi que la sagesse légendaire de la France sont des sacrés menteurs.
Mais attendez, ce n'est pas tout. Dans la longue liste des non-dits du Monde, notons cette phrase : "la déclaration solennelle du Conseil de sécurité, adoptée, mardi soir, à New York. Largement inspirée par la délégation française, longue de trois pages, elle exprime le "plein appui au premier ministre Seydou Diarra, chef du gouvernement de réconciliation nationale"." Notons que Washington la scélérate, l'administration Bush l'orgueilleux, George W Bush le cowboy des croisades, a soutenu et les Nations-Unies et la France.
Mais cela ne rentre pas dans le combat éternel contre l'Amérique avec son orgueil de superpuissance, et donc on n'en fait pas état. Cela ne rentre pas dans les plaintes interminables à propos de l'intransigeance de Washington et la pensée unilatérale qui prévaut à Washington, et donc on n'en fait pas état. Cela ne rentre pas dans le snobisme envers l'ignorance de l'Amérique, fruit d'un mélange de dédain et de messianisme, et donc on n'en fait pas état. Cela ne rentre pas dans les moqueries de ses inexactitudes et ses incohérences, et donc on n'en fait pas état. Cela ne rentre pas dans le jugement de Bush comme l'exact opposé des valeurs qui font que nous aimons l'Amérique, et donc on n'en fait aucunement état.
Bon, au moins il faut admettre que le leadership à Abidjan montre une volonté de dialogue et de coopération, non? Qu'on se garde surtout d'invoquer la rhétorique de l'"Etat voyou" et les hyperboles diabolisantes à propos de la Côte d'Ivoire.
Voyons le second article à présent. Vous vous souvenez à quel point les Français a tiré sur Bush et Rumsfeld à bout pourtant? Responsabilité, culpabilité, désistements, licenciements, et inculpations (impeachment) à tout va. Et cela, pour des sévices et à des traitements dégradants, n'est-ce pas?
En plus des morts innombrables en Côte d'Ivoire (dont les 120 tués au moins du 25 mars), le magistrat français cite huit personnes à comparaître dans la capitale française pour le rapt suivi de disparition du journaliste franco-canadien (les deux responsables de la sécurité rapprochée du couple présidentiel, le conseiller à la présidence ivoirienne pour la défense et de la sécurité, un directeur de cabinet ministériel, un banquier très lié au régime, le pasteur qui se présente comme le "guide spirituel" du chef de l'Etat ivoirien, ainsi que deux militaires qui auraient exécuté le crime).
Stephen Smith écrit : «un officiel à Paris a reconnu, mardi, qu'il n'y avait "plus de doute sur la mort de Guy-André Kieffer", ni "sur l'implication du régime dans sa disparition".»
Bien! De quel endroit nous parviennent les dénonciations d'Abidjan? Où sont les cris pour apporter les têtes des responsables sur un plateau? Il n'y en a pas, n'est-ce pas? Les voix sont silencieuses. Personne pour écrire : L'escalade de la violence et des horreurs … nous plonge dans la stupéfaction et l'indignation. Comment peut-on en arriver là au XXIe siècle alors que la mondialisation nous appelle à la compréhension et à la tolérance, bases d'un monde pacifique et prospère ?
Ah! Tiens, non. Les voix ne sont pas si silencieuses que ça. Il s'avère qu'on a gardé le meilleur pour la fin. Des paroles nous parviennent de la même direction que de celui qui, à Chicago, nous a fait nous pâmer avec sa lucidité, sa franchise, sa fermeté, son refus du compromis… Voici ce que nous apprend l'article d'Isabelle Mandraud.
"On ne souhaite pas ouvrir de débat. Gbagbo a des amis inconditionnels au [bureau national]. Nous avons pris, François [Hollande] et moi, nos responsabilités", déclare sans détour [Pierre] Moscovici. "Gbagbo appartient à notre famille, poursuit-il, il a permis de mettre fin à un système très condamnable aussi, mais cette sympathie ne doit pas se transformer en faiblesse." Ce communiqué "de rupture", selon l'expression de M. Moscovici, adopté quasi en catimini, contraste avec les débats qui sont la règle au PS. …À propos d'exercise, voici un autre, qui ne manquera pas de vous amuser. Imaginons qu'une erreur d'ordinateur se soit produit au quotidien de référence, et que tous les termes relatant à la Côte d'Ivoire aient été remplacés par des mots relatant à l'Oncle Sam. Vous allez voir, c'est assez surréaliste :
"Ça ne peut pas nous laisser indifférents, soupire de son côté Christian Paul, ancien ministre à la francophonie, qui faisait partie, lui aussi, de la mission d'information du PS. Mais il y a des faits de natures très diverses en Côte d'Ivoire, des risques de dérive forts et des responsabilités difficiles à établir." On insiste. "Je n'ai pas vocation à être juge individuel", élude-t-il. …
Le trouble s'est installé. Mais c'est avec d'infinies précautions, en mettant toujours en avant le rôle des rebelles dans les violences commises en Côte d'Ivoire, que les socialistes français prennent leurs distances avec le "camarade" Gbagbo, dans une atmosphère encore alourdie par la disparition non élucidée du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer. L'exercice a toutefois ses limites. Pas un ne songe à réclamer l'expulsion du président ivoirien de l'Internationale socialiste.
Les Français prennent timidement leurs distances avec le président BushSurréaliste, n'est-ce pas, M. Fabius? Et un sacré paradoxe…
"On ne souhaite pas ouvrir de débat. Bush a des amis inconditionnels ici. Nous avons pris nos responsabilités", déclare sans détour un des leaders. "Bush appartient à notre famille, poursuit-il, il a permis de mettre fin à un système très condamnable aussi, mais cette sympathie ne doit pas se transformer en faiblesse."
"Ça ne peut pas nous laisser indifférents, soupire de son côté un ancien ministre . Mais il y a des faits de natures très diverses en Irak, des risques de dérive forts et des responsabilités difficiles à établir." On insiste. "Je n'ai pas vocation à être juge individuel", élude-t-il.
Le trouble s'est installé. Mais c'est avec d'infinies précautions, en mettant toujours en avant le rôle des rebelles dans les violences commises en Irak, que les Français prennent leurs distances avec le président Bush. L'exercice a toutefois ses limites. Pas un ne songe à mettre le président américain (ou ses ministres) au ban de la société internationale.