2013/08/09

Le bébé africain sur la photo de Carter n'était pas seul, il était à quelques mètres du centre de soins, près de son père, de personnels médicaux


Aux Rencontres d'Arles, l'artiste chilien Alfredo Jaar présente actuellement une installation intitulée "Sound of Silence". Elle s'appuie sur la photo mythique de Kevin Carter. Le public entre dans une caisse noire où défile en silence sur un écran un texte racontant la vie de ce photographe sud-africain.
Voilà ce qu'écrit Pauline Auzou dans le cadre d'un article dans la série du Monde, Ce que l'on croit voir...
Des flashs violents viennent subitement interrompre l'obscurité silencieuse pour révéler la photo de cet enfant soudanais affamé, guetté par un vautour qui valut à Carter en 1994 un prix Pulitzer et un suicide.

Le Sud-Africain Kevin Carter est âgé de 33 ans quand il entre dans l'histoire du photojournalisme avec cette image. Depuis plusieurs années déjà, il travaille comme photoreporter, notamment au sein du Bang-Bang Club, association de quatre photographes qui ont documenté la transition de l'Afrique du Sud à la fin de l'apartheid.

En mars 1993, accompagné d'un membre du Bang-Bang Club, Joao Silva, Kevin Carter se rend au Soudan pour enquêter sur la guerre civile et la famine qui frappe le pays. Avec d'autres photographes, il arrive dans le village d'Ayod. Il tombe sur un enfant squelettique qui se traîne péniblement jusqu'au centre d'approvisionnement alimentaire voisin.

SOUDAIN, UN VAUTOUR VIENT SE POSER DERRIÈRE LUI

Soudain, un vautour vient se poser derrière lui. Carter a devant lui un symbole fort de la misère qui sévit dans la région et il déclenche son appareil. Il attend alors une vingtaine de minutes espérant que le charognard déploie ses ailes et accentue encore plus la force de cette image. En vain. Il va ensuite chasser le vautour avant de parcourir un ou deux kilomètres et s'effondrer en larmes.

UNE SALVE DE CRITIQUES ACERBES

Un an après cette prise de vue, le 12 avril 1994, Nancy Buirski, alors rédactrice photo au New York Times, appelle Kevin Carter pour lui annoncer qu'il vient de remporter le prix Pulitzer grâce à cette photographie. Ce prix prestigieux apporte à Kevin Carter une reconnaissance de ses pairs en même temps qu'une salve de critiques acerbes. La plupart portent sur l'éthique du photographe dans une situation pareille. "L'homme qui n'ajuste son objectif que pour cadrer au mieux la souffrance n'est peut-être aussi qu'un prédateur, un vautour de plus sur les lieux", écrit le St. Petersburg Times, quotidien publié en Floride. Beaucoup se demandent à voix haute pourquoi Carter n'a pas aidé l'enfant.

En 2011, Alberto Rojas, photojournaliste pour le quotidien espagnol El Mundo, s'est rendu à Ayod. Obsédé par cette image, il s'était mis à chercher des informations sur elle. Il n'avait trouvé que des écrits accablant Kevin Carter, faisant croire qu'il avait laissé mourir l'enfant. Son enquête allait peut-être lui faire justice.

 … Au terme d'une enquête de plusieurs jours, il rencontra le père de l'enfant immortalisé par Kevin Carter. Dans le petit village, personne n'avait jamais vu la photo et ne savait qu'elle avait fait le tour du monde. La présence du vautour, tant décriée en Occident, ne frappait personne : ils étaient très nombreux dans la région. L'enfant avait effectivement survécu à la famine mais était mort quatorze ans plus tard des suites de fièvres intenses provoquées par une crise de paludisme.

Grâce à Alberto Rojas, on sait désormais que le petit garçon n'est pas mort de faim, abandonné à son sort par un charognard de l'image. Justice est rendue. Mais Kevin Carter n'est plus là pour en profiter. Le 27 juillet 1994, trois mois donc après l'attribution de son prix, le Sud-Africain s'est donné la mort en s'empoisonnant dans sa voiture. Sur la note qu'il a laissée, il évoque "les souvenirs persistants de massacres et de cadavres" qui le hantaient. Rien sur l'enfant soudanais et le célèbre rapace. C'est pourtant cette image et le paradoxe du photoreporteur qu'elle incarne aujourd'hui encore que Kevin Carter symbolise : observer immobile l'horreur pour mieux la combattre.

2013/08/08

Idolâtres d'Obama, ainsi que des projets d'État, les Européens ne comprennent toujours pas que les Tea Parties participent au combat contre les "grands projets inutiles et imposés"


Quoi de commun entre la mine d'or de Rosia Montana en Roumanie, le train à grande vitesse du Pays basque espagnol, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en France, ou la ligne ferroviaire souterraine qui pourrait passer sous Florence, en Italie ? Ce sont tous, aux yeux des centaines de militants réunis jusqu'au lundi 29 juillet, à Stuttgart, en Allemagne, de "grands projets inutiles et imposés" (GPII).
Voilà comment Rémi Barroux commence son article dans Le Monde sur les militants européens contre les "projets inutiles". Mais relisez-le texte : qui est-ce qui manque ? Eh bien, l'équivalent américain. Idolâtres de Barack Obama, ainsi que des projets d'État généralisés, les Européens ne comprennent toujours pas que les Tea Parties sont quelque part à l'origine du combat contre les GPII.
Qu'est-ce qui réunit l'ensemble de ces luttes locales, dont l'écho franchit souvent les frontières ? Comment apprendre des victoires et des échecs des uns et des autres ? Comment tisser un réseau international de solidarité et d'expertise ? Voilà les questions qui animent les débats de cette troisième édition du Forum européen des GPII.
Regardez le travail des Tea Partiers aux States, dont le message aux politiciens aux States est — et n'a jamais été autre que — "Nous ne sommes pas des vaches à lait" et "Cessez de jeter l'argent par les fenêtres."

D'où — précisément — la raison que les Tea Parties ont été diabolisées à souhait, tant en Amérique qu'à l'étranger. (Voir aussi : Le phénomène Tea Party arrive-t'il (enfin) en Europe?)
Le rassemblement s'achève lundi par une manifestation devant la gare de Stuttgart, dont le projet de réaménagement "Stuttgart 21" mobilise depuis des années les militants allemands dénommés les Wutbürger, les "citoyens en colère", un terme élu "mot de l'année 2010" et qui figure désormais dans le dictionnaire. …
 
"NOUS LUTTONS DES DEUX CÔTÉS DES ALPES, NOTRE INTÉRÊT EST LE MÊME"

Ils estiment "pharaoniques" les projets contre lesquels ils continuent de se battre. Ce sont souvent des infrastructures à dimension internationales, financées en partie par l'Union européenne, d'où l'évidence de "la coordination", explique Paolo Prieri, des "No TAV" italiens, qui s'opposent à la construction de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin (TAV). "Nous luttons des deux côtés des Alpes, notre intérêt est le même, mais les conditions politiques ne sont pas toujours identiques", explique-t-il, dénonçant la mainmise de la mafia sur les chantiers d'infrastructures, côté italien.

Le verbe haut, il explique les "incohérences" des décisions gouvernementales, l'absence de prise en compte de l'avis des populations. "C'est fou, s'étrangle Paolo, on sait qu'en France le projet risque d'être remis à plus tard, que le contournement ferroviaire de Lyon n'est plus prioritaire, mais on s'apprête quand même à construire la partie internationale du tunnel !"

2013/08/07

Toute illustration du "bon soldat américain" se doit d'être diabolisé et ce, dans les plus brefs délais

Comment raconter la guerre de la façon la plus juste possible sans tomber dans l'esthétisation ou le pathos facile ?

demande Pauline Auzou dans le cadre d'un article du Monde dans la série Ce que l'on croit voir... censé diaboliser, celui-ci (plus ça change…), toute illustration du "bon soldat américain".
Le photojournaliste est responsable de son cadrage, mais aussi de la légende qui accompagne l'image. Il doit par exemple veiller à ce que des éléments importants pour la compréhension de l'événement mais absents du cadre figurent dans le texte qui l'accompagne.

Le Bosnien Damir Sagolj, 42 ans, est photographe à l'agence Reuters depuis 1997. Aujourd'hui basé à Bangkok, il est chef photo pour l'Asie du Sud-Est. Photojournaliste aguerri, il a été à maintes reprises récompensé, notamment par un World Press en 2012, pour une image réalisée en Corée du Nord : dans un décor urbain nocturne, gris et sinistre, à Pyongyang, la seule trace d'électricité est un portrait de l'ex-dictateur Kim Il-sung, affiché sur une façade.

Une autre image, plus ancienne, de Damir Sagolj a fait débat. Elle montre un soldat américain en pleurs tenant dans ses bras une petite fille irakienne, le 29 mars 2003. La guerre en Irak a commencé quelques jours plus tôt. Le photographe est "embedded", c'est-à-dire embarqué avec les soldats américains, et sous leur contrôle, afin de suivre leur progression.

Cette photo a été la plus publiée parmi toutes celles qu'il a réalisées en Irak. Ce sont les conditions de la prise de vue qui ont soulevé des questions. Elles sont racontées par Sagolj lui-même sur le blog de Reuters.

Ce jour-là, les marines sont de repos, ils ont monté leur campement quelque part au cœur de l'Irak, sur la route qui doit les mener à Bagdad. Le photographe se repose dans une tranchée, un pied cassé, quand une fusillade survient. Quinze minutes plus tard, les coups de feu cessent. Le photographe découvre autour de lui des cadavres près d'une voiture criblée de balles et des personnes criant à l'aide.

LES MARINES ONT RÉAGI ET OUVERT LE FEU

Selon Damir Sagolj, des tireurs irakiens, installés dans un camion militaire, poursuivaient une voiture de civils, les forçant à se diriger vers la petite base militaire américaine. Les marines ont réagi et ouvert le feu.

Peu de temps après, le photographe envoie son image à Reuters avec la légende suivante : "Richard Barnett, aide-soignant de la marine américaine, appartenant à la 1re division de la marine, porte un enfant irakien, en Irak central, le 29 mars 2003." Il précise également les circonstances qui ont conduit au massacre, à savoir la poursuite des civils par des militaires locaux.

Mais ensuite l'image est diffusée par les médias sans que le photographe puisse réellement contrôler son utilisation et sa lecture. Ce que le lecteur de journaux et magazines voit, c'est une petite fille blottie contre l'homme qui, les yeux fermés, semble se recueillir, tout en la protégeant. Ce qu'il ne voit pas, c'est que l'armée américaine, celle-là même à laquelle appartient le médecin accablé, a tué la famille de cette petite fille.

Pour Jean-François Leroy, directeur du festival de photojournalisme Visa pour l'image, à Perpignan, "le photographe, à aucun moment, n'a fait de cette photo de la propagande américaine. Pour moi, il a fait son boulot. Est-ce que les médias ont bien fait leur boulot ? Pas toujours".

2013/08/05

Latest Rewriting of History: During World War II, "Sex become a a manner of assuring American domination" over France


Just when you thought that World War II was fought by the greatest generation comes a book accusing the American army of racism, of harboring innumerable rapists, of bombing French cities with no just cause, and of being "guests [in France] who have overstayed their welcome", thus meaning the US presence "was not just an experience of liberation." (Oh, and while we're at it, Times Square's VJ-Day Kissing Sailor Turns Out to Be a "Sexual Aggressor".)

Nothing about the fact that these young men are going into combat, that soldiers everywhere are hungry for the company of women (whether in their own country or on a foreign base), the unfortunate but necessary options that must considered be to wage and to win battles, and what kind of country France would be in had the status quo (continued occupation by a different kind of army, the Nazi one) continued.

No matter.  Of course, What Soldiers Do (Sex and the American GI in World War II France)  is a World War II book that Le Monde must review, by all means, indeed that it must devote a full-page article to, and so it sends Washington correspondent Corine Lesnes to interview the author.

It turns out that Mary Louise Roberts started the book right after the beginning of the Gulf War and, thus, the slightly skeptical citizen (American or foreign) is forced to wonder whether it isn't really but the latet full-blown attack on America and on American history.

"Sex become a a manner of assuring American domination over a secondary power", says the University of Wisconsin professor. "I wish the United States would be less arrogant vis-à-vis France." And the French are correct not to be grateful to Uncle Sam.
Vous avez commencé ce livre juste après les tensions entre la France et les Etats-Unis sur l'intervention en Irak, en 2003. Pourquoi ?

Je voulais voir comment une telle friction avait pu se produire entre ces deux alliés. Du coup, je me suis intéressée à ce qui s'était passé à la fin de la seconde guerre mondiale, notamment après le débarquement. Et là, en consultant les archives, je me suis aperçue que tous les rapports de police montrent la même chose. Il y a eu des viols et des crimes partout où les GI étaient stationnés, à Reims, Cherbourg, Brest, Le Havre, Caen...

Vous montrez d'abord le contexte chargé dans lequel les soldats américains sont envoyés en Normandie.

Il suffit de consulter Stars and Stripes, le quotidien de l'armée. On y trouve tous les vieux stéréotypes. La France est présentée comme une sorte de bordel. Elle est complètement érotisée. Cette image date en fait de la première guerre mondiale. Quand les soldats sont revenus, ils ont raconté des histoires affriolantes. Après, l'armée américaine a "vendu" la guerre comme une occasion de se faire embrasser par des Françaises, et peut-être plus. Ce n'est pas propre à la France, bien sûr. Tous les théâtres de guerre étaient érotisés. C'était l'époque des photos de pin-up accrochées dans les dortoirs, de Rita Hayworth... Mais une image revient avec constance dans le journal de l'armée : les GI entourés par des Françaises. Embrassés par des Françaises. Sur l'une, on voit un groupe de femmes, visiblement réjouies. Et la légende dit : "Voilà ce pour quoi nous nous battons." 

Dans le vocabulaire, Paris est une femme, elle est "belle", elle est "seule depuis quatre ans", nous allons lui "tenir compagnie"... Quand ils débarquent en France, les GI ont l'impression d'être des chevaliers qui viennent à la rescousse de la damoiselle en péril. Ils ont été préparés à l'idée qu'ils seraient gratifiés de certaines récompenses, que les Français avaient une dette à leur égard et que les Françaises s'en acquitteraient.

Il s'en est suivi un tsunami de libido masculine, qui va se traduire par des phénomènes de prostitution à grande échelle. Et il y aura une vague de viols en Normandie, en août et septembre 1944.

Quelle est l'ampleur de la prostitution ?

A la Libération, beaucoup de femmes étaient pauvres, particulièrement à Paris. Leurs maris étaient dans les camps allemands, elles avaient besoin d'argent. De plus, il y avait un sentiment de reconnaissance vis-à-vis des Américains. Mais ce sentiment a disparu après quelques mois, et, à l'été 1945, les GI ressemblaient davantage à des invités qui s'attardent trop longtemps. A ce moment-là, le système français des maisons closes a été complètement débordé. …

Vous y voyez une leçon politique ?

Je me suis intéressée au sexe comme une forme de pouvoir. L'armée américaine a envisagé la question de la prostitution et des viols comme une façon d'établir une forme de suprématie. Souvenez-vous, nous sommes en 1945, les Etats-Unis commencent à s'affirmer comme une puissance mondiale. C'est aussi un moment où la France, humiliée, s'aperçoit qu'elle a perdu son statut de superpuissance. Le sexe devient une manière d'assurer la domination américaine sur une puissance secondaire. L'image romantique du Débarquement permet de neutraliser les tensions sur la souveraineté nationale française et le refus, pendant des mois, de reconnaître le général de Gaulle comme le chef du gouvernement provisoire.