2013/08/07

Toute illustration du "bon soldat américain" se doit d'être diabolisé et ce, dans les plus brefs délais

Comment raconter la guerre de la façon la plus juste possible sans tomber dans l'esthétisation ou le pathos facile ?

demande Pauline Auzou dans le cadre d'un article du Monde dans la série Ce que l'on croit voir... censé diaboliser, celui-ci (plus ça change…), toute illustration du "bon soldat américain".
Le photojournaliste est responsable de son cadrage, mais aussi de la légende qui accompagne l'image. Il doit par exemple veiller à ce que des éléments importants pour la compréhension de l'événement mais absents du cadre figurent dans le texte qui l'accompagne.

Le Bosnien Damir Sagolj, 42 ans, est photographe à l'agence Reuters depuis 1997. Aujourd'hui basé à Bangkok, il est chef photo pour l'Asie du Sud-Est. Photojournaliste aguerri, il a été à maintes reprises récompensé, notamment par un World Press en 2012, pour une image réalisée en Corée du Nord : dans un décor urbain nocturne, gris et sinistre, à Pyongyang, la seule trace d'électricité est un portrait de l'ex-dictateur Kim Il-sung, affiché sur une façade.

Une autre image, plus ancienne, de Damir Sagolj a fait débat. Elle montre un soldat américain en pleurs tenant dans ses bras une petite fille irakienne, le 29 mars 2003. La guerre en Irak a commencé quelques jours plus tôt. Le photographe est "embedded", c'est-à-dire embarqué avec les soldats américains, et sous leur contrôle, afin de suivre leur progression.

Cette photo a été la plus publiée parmi toutes celles qu'il a réalisées en Irak. Ce sont les conditions de la prise de vue qui ont soulevé des questions. Elles sont racontées par Sagolj lui-même sur le blog de Reuters.

Ce jour-là, les marines sont de repos, ils ont monté leur campement quelque part au cœur de l'Irak, sur la route qui doit les mener à Bagdad. Le photographe se repose dans une tranchée, un pied cassé, quand une fusillade survient. Quinze minutes plus tard, les coups de feu cessent. Le photographe découvre autour de lui des cadavres près d'une voiture criblée de balles et des personnes criant à l'aide.

LES MARINES ONT RÉAGI ET OUVERT LE FEU

Selon Damir Sagolj, des tireurs irakiens, installés dans un camion militaire, poursuivaient une voiture de civils, les forçant à se diriger vers la petite base militaire américaine. Les marines ont réagi et ouvert le feu.

Peu de temps après, le photographe envoie son image à Reuters avec la légende suivante : "Richard Barnett, aide-soignant de la marine américaine, appartenant à la 1re division de la marine, porte un enfant irakien, en Irak central, le 29 mars 2003." Il précise également les circonstances qui ont conduit au massacre, à savoir la poursuite des civils par des militaires locaux.

Mais ensuite l'image est diffusée par les médias sans que le photographe puisse réellement contrôler son utilisation et sa lecture. Ce que le lecteur de journaux et magazines voit, c'est une petite fille blottie contre l'homme qui, les yeux fermés, semble se recueillir, tout en la protégeant. Ce qu'il ne voit pas, c'est que l'armée américaine, celle-là même à laquelle appartient le médecin accablé, a tué la famille de cette petite fille.

Pour Jean-François Leroy, directeur du festival de photojournalisme Visa pour l'image, à Perpignan, "le photographe, à aucun moment, n'a fait de cette photo de la propagande américaine. Pour moi, il a fait son boulot. Est-ce que les médias ont bien fait leur boulot ? Pas toujours".