Le Monde ne s'en rend pas compte, mais les articles de
Rémi Barroux et
Frédéric Lemaître décrivent le même phénomène en France et en Allemagne que l'arrivée des Tea Parties aux USA (diabolisées à souhait et ce, des deux côtés de l'Atlantique). Dans tous les cas, le cri des citoyens est le même : "Nous ne sommes pas des vaches à lait" et "Cessez de jeter notre argent par les fenêtres!"
En
France:
Vraie bombe pour les nombreuses collectivités territoriales qui
attendent de voir se réaliser leurs projets d'infrastructures de
transports, le rapport remis par Philippe Duron au gouvernement, jeudi
27 juin, est une aubaine pour ceux qui s'opposent au bétonnage du
territoire. Le député socialiste du Calvados préconise la fin du
"tout-TGV" et du "tout-autoroutes", et propose notamment le report
(l'abandon ?) de nombreux projets de lignes à grande vitesse, comme
Bordeaux-Hendaye, ou de tronçons d'autoroutes, tel l'A51 entre Gap et
Grenoble, contestés localement.
Cette proposition de révision des schémas de transports, dont le premier ministre Jean-Marc Ayrault a dit qu'il partageait "le diagnostic précis",
suffira-t-elle à calmer la contestation des collectifs locaux formés
contre ces projets qu'ils jugent inutiles, voire néfastes ? Pour
quelques-uns d'entre eux peut-être, mais la fronde ne concerne pas
uniquement les grandes infrastructures de transports.
Centres commerciaux, équipements sportifs, centrales à gaz, projets
d'exploitation de gaz de schiste, déchetteries géantes : les batailles
se mènent contre les projets les plus "modestes", comme le golf gardois
de Saint-Hilaire-de-Brethmas, jusqu'aux plus ambitieux, tel l'aéroport
de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Parfois avec pour seule
préoccupation de s'opposer à la dégradation de son environnement
personnel – à l'image du mouvement Nimby ( Not in my Backyard – "Pas
dans mon arrière-cour" !) présent dans d'autres pays –, mais le plus
souvent pour défendre une autre idée de l'intérêt collectif, du
développement économique et de l'utilisation des fonds publics.
En
Allemagne :
Ils se sont opposés en 2010 au réaménagement complet du quartier de
la gare de Stuttgart, ont obtenu la limitation des vols de nuit à
l'aéroport de Francfort, imposé l'abandon d'une troisième piste à celui
de Munich, ont contraint le gouvernement à chercher un nouveau centre de
stockage de déchets nucléaires en s'enchaînant aux voies ferrées pour
empêcher les trains d'atteindre le site de Gorleben... "Ils" sont même
devenus suffisamment importants pour qu'on leur donne un nom : ce sont
les "Wutbürger", les "citoyens en colère", un terme élu "mot de l'année
2010" et qui figure désormais dans le dictionnaire.
Difficile de trouver en Allemagne un grand projet d'infrastructure qui ne suscite pas la mobilisation d'opposants. "Même l'électrification d'une voie ferrée semble devenue un problème", admet Cem Özdemir, le président des Verts, dans une récente tribune de la Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Il fait référence à l'électrification de la ligne Munich-Zurich,
décidée en 1985 et toujours pas réalisée en Allemagne, bien que la
Suisse ait proposé de la financer.
EMPÊCHEURS DE CONSTRUIRE
Dans un pays qui a décidé d'abandonner le nucléaire, et qui va devoir
construire des milliers de lignes à haute tension pour relier les
éoliennes installées en mer du Nord avec les centres industriels du Sud,
en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg, le phénomène inquiète les partis
politiques. Les inondations récentes ont relancé le débat. Après les
crues de 2002, les autorités avaient prévu d'investir des centaines de
millions d'euros, notamment pour construire des digues mais, dans de
nombreuses localités, les citoyens s'y sont opposés.
Qui sont ces empêcheurs de construire en rond ? Selon une étude de
l'Institut de recherche sur la démocratie, publiée fin janvier et
financée par BP, ce sont pour l'essentiel des gens sans enfants :
salariés à temps partiel, lycéens, enseignants et surtout préretraités
et retraités. Des hommes pour 70 % des 200 militants interrogés, bien
plus diplômés que la moyenne. Techniciens, informaticiens, biologistes,
ingénieurs sont les principales professions exercées. Plus de la moitié
se disent sans religion. Enfin, une grande majorité estime que
l'Allemagne n'est pas une "vraie démocratie".
Contre ces mouvements, la réponse des politiques varie. Si, après les
inondations, certains ont estimé que l'intérêt public devait prévaloir
sur les intérêts privés, la plupart des partis insistent sur une
meilleure participation des citoyens "en amont" des décisions. Mais
celle-ci n'est pas une garantie de succès. Le Bade-Wurtemberg, pourtant
dirigé par un élu écologiste, vient d'en faire l'expérience. Sept
villages se sont opposés à un projet porté par le Land. En l'occurrence,
il ne s'agit ni de construire un aéroport ni une centrale à charbon...
mais de créer un parc national pour protéger le nord de la Forêt-Noire.