Plus de 10 millions d'armes à feu illégales seraient en circulation en France
explique
Elisa Mignot dans
Le Monde pendant que les Français s'étranglent sur la folie des Américains et de leur société des armes,
alors qu'il y a 1,5 million d'utilisateurs légaux. Deux mondes dont la porosité inquiète les pouvoirs publics.
… une quinzaine d'exposants ont déballé là, dans cette bourse aux armes
d'une petite ville de province, tout leur étonnant matériel : qui ses
sabres, qui ses képis de la seconde guerre mondiale, qui ses livres, ses
pièces détachées, ses carabines, ses Colt, ses silencieux, ses fusils
Uzi. On trouve de tout, dans ce décor vaguement Art déco. Armes de
collection et armes hors d'usage, armes de tir et de chasse, à la portée
de quiconque présente sa licence ou son permis.
A 5 euros
l'entrée, férus d'armes et curieux s'y retrouvent. Un médecin croise un
carrossier, un néocow-boy fan de John Wayne, un chasseur de gros gibier
exotique, un ancien militaire, un jeune fan de football. Beaucoup de
kaki, beaucoup d'hommes : quelques-uns parmi le 1,5 million
d'utilisateurs légaux recensés en France, un pays où l'on compte plus de
3,5 millions d'armes déclarées et presque autant de bourses aux armes
que de jours dans une année : 351. Car les armes à feu sont aussi une
passion française. Et une préoccupation pour les pouvoirs publics,
inquiets de la porosité entre détenteurs d'armes légaux et illégaux.
… le centre de recherche [Small Arms Survey] basé en
Suisse range la France dans le peloton de tête des pays les plus armés
au monde, derrière les Etats-Unis (270 millions d'armes), l'Inde (46
millions), la Chine (40 millions) et l'Allemagne (25 millions), mais
devant le Yémen, l'Irak ou la Serbie.
… Un exposant aux allures de chasseur donne sa carte de visite sans
adresse. Vous cherchez des kalachnikovs des pays de l'Est ? Cet armurier
peut en trouver des exemplaires sortis des rangs de l'armée. Mais,
prudence, il ne veut pas se faire prendre, comme d'autres, dit-il,
volontairement évasif. Il ne sera question de permis à aucun moment. Un
dandy belge, exposant lui aussi, donne rendez-vous pour une prochaine
bourse aux armes, sans dévoiler ni nom ni numéro : il a des pistolets en
très bon état à 1 000 euros, on pourra les tester dans un endroit qu'il
connaît. Toujours pas question de permis ou d'autorisation. Méfiance,
patience et usage habile des flous de la loi.
… Dans le garage n° 7 du village de Danjoutin, [l'ancien instituteur] stockait 20
kalachnikovs, 9 autres fusils d'assaut, 4 pistolets mitrailleurs, 90 000
munitions, 20 kg de TNT et 23 000 euros. Il a reconnu, lors de son
audition, avoir vendu entre 150 et 200 armes déneutralisées en 2011.
… toujours près de Belfort, la police a découvert 38 fusils d'assaut, 150
armes de poing, 250 kg de cartouches et 38 000 euros dans la cave d'une
vieille dame : la belle-mère d'un pharmacien ami d'enfance d'Emmanuel
Toschi. « Cette affaire est une saisie exceptionnelle par le nombre et la nature des armes, commente Agnès Thibault-Lecuivre, porte-parole du parquet de Paris. Mais
l'élément marquant du dossier est la remilitarisation de ces armes qui
ont sans doute alimenté les grands banditismes du sud de la France et de
la banlieue parisienne. » Les suspects risquent dix ans de prison.
… Aujourd'hui, le commerce illégal avec les pays de l'ex-URSS et de
l'ex-Yougoslavie, florissant dans les années 1990, après la chute du mur
de Berlin, se tasse. Les arsenaux des pays de l'Est ne sont pas vides,
mais les stocks vont en s'amenuisant et les polices collaborent mieux.
Les importations - des kalachnikovs en général - sont le fruit d'un « trafic de fourmi s », souligne Philippe Nobles. « La kalachnikov est un problème, mais les autres armes aussi, poursuit le commandant. Elles ne sont pas dans l'air du temps mais elles tuent bien plus. »
… Face aux suspicions qui planent sur leur milieu, collectionneurs,
chasseurs et tireurs se défendent vigoureusement contre les amalgames.
Ce n'est pas l'arme qui est dangereuse mais l'homme qui la porte,
répètent-ils à l'envi. Depuis dix ans, le comité Guillaume Tell, qui dit
représenter 2 millions d'utilisateurs d'armes à feu, plaide pour que «
les responsables politiques s'occupent en priorité des armes de guerre
dans les banlieues plutôt que des armes de chasse dans les campagnes ».