Si vous avez peur de moi, c'est que vous ne me connaissez pas."
"On peut se déclarer contre le mariage gay sans être ni homophobe, ni
bête, ni haineux."
Ce vrai-faux dialogue entre Emeline Bertrand
(Chambéry, Savoie) et Pierre Jamey (Saint-Jean-de-Blaignac, Gironde) -
deux courriels parmi d'autres reçus par le médiateur cette semaine -
donne le ton du débat que suscite le "mariage pour tous" chez nos
lecteurs.
Ainsi est-ce que
Pascal Galinier, le médiateur du Monde, fait son rapport. Dans lequel on apprend que, quel que soit le sujet (ici le mariage gay), Le Monde est accusé de faire des
"amalgames" à l'encontre de ceux qui ne pensent pas (à tort ou à raison) comme les bien-pensants…
Homosexuelle, Mme Bertrand vit depuis dix ans en couple avec sa compagne. Elles sont mères (biologiques) de deux enfants. "Dans
le débat actuel, qui devient un vrai combat, l'opinion s'enflamme, et
il est difficile pour nous de faire entendre notre petite voix", nous écrit-elle. Face à "la discrimination qui semble être un fait acquis et inébranlable", elle invite tout un chacun à venir constater sa "banalité", sa "normalité".
Pour M. Jamey, le débat n'a rien de banal. Et le questionnement est
normal. Lui est de ceux, nombreux, qui s'interrogent sur ce projet de
loi, sur ses conséquences pour la famille, pour les enfants. Qui nous
l'écrivent, en termes parfois virulents ; souvent argumentés ; énervés
toujours par les "amalgames" qu'ils y voient à leur encontre.
Pas moins d'une trentaine de lecteurs cette semaine s'étonnent du "parti pris" de leur journal en faveur d'"Une réforme légitime, nécessaire et progressiste" - c'était le titre de notre éditorial du 18-19 novembre 2012. "En
le présentant comme une injonction à suivre, sous peine d'être
rétrograde ou imbécile, vous réduisez le sujet à une question de mode,
de résistance au progrès, de conservatisme désuet, et tant pis pour ceux
qui veulent réfléchir sérieusement", se désole Henriette Morenas (Paris). "Votre présentation
du sujet est marquée par des préjugés sociaux, qui créent une grande
confusion et qui éludent les oppositions les plus sérieuses", estime Jean-Philippe Tronche (Lattes, Hérault). Et que dire de la tribune afférente ("Mariage gay : non à la collusion de la haine"), signée d'une soixantaine de personnalités - dont l'un des actionnaires du Monde, Pierre Bergé ? "Un summum d'intolérance", pour Pierre Jamey. "Si bêtise et haine il y a quelque part, ne cherchons pas ailleurs", juge Jean Icart (Paris). "La lecture de l'article m'a rajeuni. Je croyais lire le réquisitoire d'un procès de Moscou...", ricane Jean Blanchard (Toulouse).
"Je fais partie de ceux d'en face et, bien sûr, j'ai la tentation
de trouver, moi, que la bêtise et la haine sont du côté des signataires
du texte, observe Denis Monod-Broca (Paris). Ils donnent
d'ailleurs eux-mêmes de l'eau à mon moulin : tout leur texte ne
baigne-t-il pas dans la phobie de l'homophobie et des homophobes ?"
Homophobie, telle est l'une des questions que soulève ce débat. Votre
médiateur vous invite à lire, sur son blog, la lettre que Dimitri
Cuvelier, 16 ans, de Bousbecque (Nord), lui a adressée, comme on jette
une bouteille à la mer. "Je suis un ado, homosexuel de surcroît,
rien pour plaire aux politiques... J'ai tous les vices, et tous les
problèmes du monde. Je suis une voix parmi tant d'autres..." Comme Emeline Bertrand, il tente de s'adresser à "ceux d'en face" : "Vivez-vous
les regards et les mots, les doigts pointés et les insultes ?
Vivez-vous cette sensation de colère qu'on ne vous traite pas en tant
que personne mais en tant qu'orientation sexuelle ?"
Alors, dialogue ou débat ? Dialogue, plaide la lectrice de Chambéry. "Vous savez, je partage la même foi que certains d'entre vous, dit-elle sur le blog "momrun73" créé tout exprès. Je
crois qu'on n'en a pas retiré les mêmes valeurs. Ma foi me pousse à
aller vers l'autre, pas à le rejeter, l'insulter. Ma foi me dit que les
gens sont différents, mais qu'avant de les juger, je pourrais peut-être
me dire que j'ai quelque chose à apprendre d'eux et de cette différence." Débat, revendique Edouard Falletti (Paris), mais "il
ne suffit pas de juxtaposer les avis opposés des partisans et
adversaires du projet. Il faut un vrai débat de fond. En son temps,
Hubert Beuve-Méry prenait bien soin d'argumenter longuement pour mieux
convaincre ses lecteurs, avant de prendre éventuellement position." Beuve disait aussi, cher lecteur, qu'il fallait "penser contre soi-même", à l'instar de son maître Péguy... C'est ce à quoi s'emploie votre journal.
Même Henriette Morenas le reconnaît : Le Monde lui a donné matière à "réflexions sérieuses". Avec l'entretien du théologien catholique Xavier Lacroix (Le Monde du 27 octobre). Ou en publiant, dès 2007, des chroniques "d'une très haute tenue philosophique et éthique", selon elle, signées Sylviane Agacinski
- que nul ne se hasarderait à soupçonner d'homophobie... Des chroniques
qui anticipaient, en termes mesurés sinon réservés, la question
sous-jacente du "mariage homo", la seule qui compte pour bon nombre
d'entre vous : celle de l'enfant, de son adoption, de sa procréation
médicalement assistée... Décisions autrement plus importantes que celle
de graver son nom au bas d'un parchemin... "Je n'ai jamais
revendiqué un "droit à l'enfant", dit Emeline Bertrand, comme pour
désamorcer la bombe. J'ai rencontré une personne avec qui, après longue
réflexion, j'ai décidé de fonder une famille."
Le sujet n'a pas fini de rebondir. Et c'est tant mieux. Pour vous
comme pour nous. Car, votre médiateur y veillera, notre journal
continuera à vous donner matière à réfléchir - et à dialoguer, il
l'espère... Tout en étant conscient que, "sur des questions aussi
sensibles que la famille et la sexualité, touchant à l'inconscient
collectif et à de vieux fantasmes, la sérénité et la mesure sont
toujours plus convaincantes", comme l'écrivait en 1998 notre prédécesseur Robert Solé lors du vote du pacs - et à la suite, déjà, d'un "éditorial simplificateur", disait-il...
Peine perdue ? Pas sûr. Ce débat est tout sauf "banal", on l'a dit.
Mais, il est "normal", comme dirait qui vous savez... Quant au
dialogue... "Je suis votre avenir, et le futur de la France", affirme "l'ado" Dimitri. "Je reste politiquement incorrect", prévient Jean Blanchard. C'est reparti pour un tour...
Il est vrai que beaucoup de (beaucoup d'autres)
lecteurs apportent des avis intéressants…
No comments:
Post a Comment