L'Europe s'est retrouvée dans une position humiliante, un régime totalitaire lui donnant une leçon de libre-échange
Il y a deux raisons pour lesquelles l'élaboration d'une politique étrangère européenne commune s'est révélée beaucoup plus difficile qu'attendu
écrit
Chris Patten.
La première se nomme Jacques Chirac et la seconde Gerhard Schröder. Cela est particulièrement vrai pour les relations que l'Europe entretient avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine.
Si les dirigeants français et allemands ont eu raison de s'opposer à l'invasion de l'Irak menée par les Etats-Unis, leur attitude dans l'ensemble, entre rivalité improbable et servilité obséquieuse, a rendu difficile la construction de relations avec Washington sur des bases indépendantes.
Au sujet de la Russie, M. Schröder, le chancelier allemand, a semblé se mettre en avant, fasciné par la maîtrise de la langue allemande du président Vladimir Poutine ˇ – acquise, il n'est pas inutile de le rappeler, dans l'objectif d'espionner l'Allemagne – ˇ et attiré par les ressources énergétiques contrôlées par Moscou. Les sensibilités et les intérêts de la Pologne, de l'Ukraine et des Etats baltes ont été ignorés.
Bien sûr, l'Europe a besoin de ces ressources russes mais la Russie a, elle-même, besoin de vendre du pétrole et du gaz à ses voisins occidentaux. Elle n'a que peu d'autres choses précieuses à offrir à l'Union européenne (UE). En revanche, on ne peut oublier que Moscou cherche à se bâtir une sphère d'influence autour de ses frontières, avec des alliés affaiblis. La France et l'Allemagne sont-elles heureuses de ce qui se passe, par exemple, dans le sud du Caucase, en Moldavie et dans les républiques d'Asie centrale ?
Les dirigeants européens évoquent des valeurs qu'ils partagent avec la Russie, alors que celle-ci ˇ – où liberté d'expression et démocratie sont en repli – ˇ serait justement l'endroit idéal pour commencer à défendre ces valeurs.
Mais c'est avec la Chine qu'il y a eu probablement le plus de dégâts. Contrairement à de nombreux stratèges américains, les Européens n'ont pas considéré l'ascension de la Chine comme une menace, même si cette dynamique est une véritable accélération du cours de l'histoire.
… Quant au nationalisme croissant de Pékin, il pourrait devenir inquiétant s'il venait à échapper à tout contrôle, comme cela s'est produit pour le Japon dans les années 1930. … l'Union européenne a fait tant d'efforts pour faire entrer la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce et discuté avec Pékin des conséquences de la fin du protectionnisme des pays riches face au textile. C'est aussi pour cela que nous avons insisté en faveur d'un dialogue à propos des droits de l'homme.
Cette stratégie réfléchie a échoué en raison de deux événements. Premièrement, la gestion lamentablement incompétente de l'embargo de l'UE sur les armes mis en place après les massacres de Tiananmen, en 1989. La position européenne était alors claire. Elle liait officieusement l'embargo aux progrès en matière de droits de l'homme, ce qui renvoyait essentiellement à la ratification et à la signature de la Convention sur les droits civiques et politiques des Nations unies (ONU). M. Chirac et M. Schröder ont sonné le glas de cette politique : le premier pour obtenir davantage de sourires de la part du président Hu Jintao lors de sa première visite officielle à Paris ; le second en croyant bêtement que les Chinois étaient différents des autres dès lors qu'il s'agissait de faire des affaires et qu'ils achèteraient du matériel ferroviaire allemand si Berlin se mettait au diapason de Pékin.
C'est alors que les Etats-Unis ont tapé du poing sur la table en soutenant, ce qui n'avait rien d'incongru, qu'ils méritaient, au moins, d'être consultés quant à un tel changement de politique. Sans compter qu'une bonne part de l'industrie de l'armement européenne est dépendante du savoir-faire américain ou des ventes aux Etats-Unis. Au bout de quelques mois, l'Europe est donc rentrée dans le rang. Elle est revenue à sa position de départ, celle d'avant cette équipée embarrassante – non sans perdre de la crédibilité, à Washington, et la face, en Chine.
… [L'acord des mesures protectionnistes afin de bloquer les exportations chinoises bon marché] a été salué par le premier ministre français, Dominique de Villepin, comme un grand moment pour l'Europe. En vérité, c'est tout l'inverse d'un grand moment. Le message a été donné aux Chinois que nous privilégiions les règles de la négociation pour la gestion des politiques économiques uniquement lorsqu'elles nous convenaient. Une fois qu'elles se révélaient inadaptées – pénalisant, dans le cas présent, les entrepreneurs qui n'avaient pas réussi à restructurer leur entreprise –, nous pouvions décider unilatéralement de les abandonner. L'Europe s'est donc retrouvée dans une position humiliante, un régime totalitaire lui donnant une leçon de libre-échange.
Il nous faut maintenant ramasser les morceaux et tenter de reconstruire une stratégie cohérente. Prions pour que le type de diplomatie pratiquée par les dirigeants français et allemands ne façonne pas nos futures approches de la question.
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