2012/09/28

Cette pudeur de la France vis-à-vis de l'argent — qui est totalement absente aux Etats-Unis — est un vrai problème, car elle peut freiner le développement de la philanthropie

Vice-président de l'Hôpital américain de Paris chargé du mécénat et organisateur de collectes de fonds pour des universités américaines telles que Columbia et Tufts, John Crawford est interviewé par Frédéric Cazenave de Le Monde Argent :
Pourquoi la philanthropie reste-t-elle marginale en France par rapport aux Etats-Unis ?
L'essor du mouvement philanthropique remonte au début du XXe siècle aux Etats-Unis, avec de grands noms comme Andrew Carnegie et les familles Vanderbilt ou Rockefeller. En France, il a fallu attendre les années 1960 pour que l'Etat s'intéresse à cette question. La tradition religieuse a joué un rôle-clé : il existe dans la plupart des religions une obligation morale à faire oeuvre de charité. C'est encore plus vrai pour les grandes fortunes, pour qui léguer une partie de leur richesse est souvent une évidence. Autre différence notable : l'Etat providence, si cher à la France, n'existe pas au même degré outre-Atlantique. Pour les Américains, les individus doivent se prendre en main, prendre en charge la culture, l'éducation... Les dons jouent, par exemple, un rôle primordial dans le fonctionnement des universités privées américaines. Le mécénat permet de financer les bourses des étudiants, d'attirer les plus grands professeurs, de développer la recherche. Sur ce point, le contraste est évident avec la France, même si quelques grandes écoles comme HEC, l'ESSEC ou Insead ont fait preuve d'innovation dans ce domaine.

La France rattrape-t-elle son retard ? 
 Oui, même si seulement 2 000 fondations sont recensées dans l'Hexagone, contre plus de 120 000 aux Etats-Unis. Depuis une trentaine d'années, des incitations fiscales ainsi que de nouveaux outils, comme les fonds de dotation, permettent au mécénat de se développer. La Fondation de France et d'autres, comme la Fondation du Patrimoine, sont très actives auprès des pouvoirs publics afin de créer un environnement favorable. Côté fiscalité, les avantages accordés en France sont, pour le moment, au moins aussi intéressants qu'aux Etats-Unis. En revanche, les Américains bénéficient d'une totale liberté en matière de legs de leur fortune, ce qui n'est pas le cas en France, où la loi protège les intérêts des héritiers. Enfin, côté administratif créer une fondation est beaucoup plus simple aux Etats-Unis qu'en France.

La philanthropie américaine profite aussi de la médiatisation de célébrités comme Bill Gates ou Warren Buffett...
Beaucoup de Français sont de grands philanthropes, ou mécènes, mais souhaitent rester discrets. Pourtant, leur médiatisation serait positive car elle provoquerait un effet d'entraînement. Cette pudeur de la France vis-à-vis de l'argent - qui est totalement absente aux Etats-Unis - est un vrai problème, car elle peut freiner le développement de la philanthropie.