2013/06/17

Haï de l'intelligentsia, parce qu'il osait n'être pas marxiste et, surtout, qu'il avait osé dire que les rois philosophes étaient nus


E SON VIVANT, il fut copieusement haï de l'intelligentsia
écrit Roger-Pol Droit dans Le Monde,
alors que son audience dans l'opinion était considérable. Jean-François Revel (1924-2006) était omniprésent autant que méconnu. Cet intellectuel qui fut tour à tour résistant, normalien, professeur de philosophie, puis tout ensemble journaliste, auteur de multiples best-sellers, critique d'art, gastronome et académicien était plus ou moins méprisé du sérail.

Pourquoi au juste ? Parce qu'il osait n'être pas marxiste, soutenait que libéralisme et démocratie peuvent seuls assurer le développement social ? Cela ne jouait pas en sa faveur, mais son vrai crime était ailleurs. Dès 1957, il avait osé dire que les rois philosophes étaient nus, la Sorbonne un asile de gâteux arrogants et la philosophie une affaire classée depuis le XVIIIe siècle.

Comme il savait tremper sa plume dans le vitriol, taper juste et faire rire, l'université ne lui pardonna jamais son premier pamphlet, Pourquoi des philosophes ? (Julliard, 1957), suivi en 1962 d'un second, La Cabale des dévots, vite devenus des classiques en leur genre. En les rééditant à plusieurs reprises jusqu'en 1979, Revel s'ingéniait à remettre de l'huile sur le feu, en penseur hérétique et relapse. Une fois liquidée son ancienne conscience philosophique, il a poursuivi joyeusement sa route ailleurs, sans se soucier de regarder en arrière. Ce qui ne l'empêcha pas, malgré tout, de publier tardivement une Histoire de la philosophie occidentale (Nil, 1994) qui vaut le détour.

Vif plaisir

Voilà que sont réédités en un seul volume cette histoire de la pensée - qui va de Thalès à Kant - et les deux brûlots qui firent tant de vagues. Qu'y trouve-t-on, une fois les décennies passées et le polémiste trépassé ? Un vif plaisir et plus de vraies questions que de vaines provocations. La thèse centrale de Revel, c'est que la philosophie, qui fut dans l'Antiquité une grande aventure intellectuelle et morale, achève son parcours avec Kant et la naissance des savoirs scientifiques modernes. Il l'expose avec force et clarté, un talent pédagogique indéniable et une salutaire volonté de désacraliser. Car les plus grands maîtres n'ont pas nécessairement raison, Cicéron le savait déjà : « Rien ne peut être dit de si absurde qui ne soit dit par quelque philosophe. »

Si tout n'est pas également convaincant, son interrogation ardente sur ce qu'il convient d'appeler « philosophie » n'a pas pris une ride, car le choix de Revel est de privilégier la vérité. Elle signifie pour lui clarté démonstrative, préférence accordée à ce qui fait comprendre plutôt qu'à ce qui fait de l'effet, désir d'écarter les convictions infondées comme les croyances religieuses. Sous cet angle, on saisit mieux ce qui motive les pamphlets : refus des charabias, des boniments, des fumigènes.

En 1957, Revel s'en prenait vertement au mépris des sciences qui habite la plupart des philosophes, à ces « moulins à prières » qui tournent dans les discours académiques. Il s'attaquait à la mystification de la gadoue heideggerienne comme aux suffisances et insuffisances de Jacques Lacan. Avec le temps, c'était assez bien vu.
Mise à jour : Chez Enquête & Débat, des extraits de La Connaissance Inutile

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