Haï de l'intelligentsia, parce qu'il osait n'être pas marxiste et, surtout, qu'il avait osé dire que les rois philosophes étaient nus
E
SON VIVANT, il fut copieusement haï de l'intelligentsia
écrit
Roger-Pol Droit dans
Le Monde,
alors que son
audience dans l'opinion était considérable. Jean-François Revel
(1924-2006) était omniprésent autant que méconnu. Cet intellectuel qui
fut tour à tour résistant, normalien, professeur de philosophie, puis
tout ensemble journaliste, auteur de multiples best-sellers, critique
d'art, gastronome et académicien était plus ou moins méprisé du sérail.
Pourquoi
au juste ? Parce qu'il osait n'être pas marxiste, soutenait que
libéralisme et démocratie peuvent seuls assurer le développement social ?
Cela ne jouait pas en sa faveur, mais son vrai crime était ailleurs.
Dès 1957, il avait osé dire que les rois philosophes étaient nus, la
Sorbonne un asile de gâteux arrogants et la philosophie une affaire
classée depuis le XVIIIe siècle.
Comme il savait tremper sa plume
dans le vitriol, taper juste et faire rire, l'université ne lui
pardonna jamais son premier pamphlet, Pourquoi des philosophes ? (Julliard, 1957), suivi en 1962 d'un second, La Cabale des dévots,
vite devenus des classiques en leur genre. En les rééditant à plusieurs
reprises jusqu'en 1979, Revel s'ingéniait à remettre de l'huile sur le
feu, en penseur hérétique et relapse. Une fois liquidée son ancienne
conscience philosophique, il a poursuivi joyeusement sa route ailleurs,
sans se soucier de regarder en arrière. Ce qui ne l'empêcha pas, malgré
tout, de publier tardivement une Histoire de la philosophie occidentale (Nil, 1994) qui vaut le détour.
Vif plaisir
Voilà
que sont réédités en un seul volume cette histoire de la pensée - qui
va de Thalès à Kant - et les deux brûlots qui firent tant de vagues.
Qu'y trouve-t-on, une fois les décennies passées et le polémiste
trépassé ? Un vif plaisir et plus de vraies questions que de vaines
provocations. La thèse centrale de Revel, c'est que la philosophie, qui
fut dans l'Antiquité une grande aventure intellectuelle et morale,
achève son parcours avec Kant et la naissance des savoirs scientifiques
modernes. Il l'expose avec force et clarté, un talent pédagogique
indéniable et une salutaire volonté de désacraliser. Car les plus grands
maîtres n'ont pas nécessairement raison, Cicéron le savait déjà : « Rien ne peut être dit de si absurde qui ne soit dit par quelque philosophe. »
Si
tout n'est pas également convaincant, son interrogation ardente sur ce
qu'il convient d'appeler « philosophie » n'a pas pris une ride, car le
choix de Revel est de privilégier la vérité. Elle signifie pour lui
clarté démonstrative, préférence accordée à ce qui fait comprendre
plutôt qu'à ce qui fait de l'effet, désir d'écarter les convictions
infondées comme les croyances religieuses. Sous cet angle, on saisit
mieux ce qui motive les pamphlets : refus des charabias, des boniments,
des fumigènes.
En 1957, Revel s'en prenait vertement au mépris des sciences qui habite la plupart des philosophes, à ces « moulins à prières »
qui tournent dans les discours académiques. Il s'attaquait à la
mystification de la gadoue heideggerienne comme aux suffisances et
insuffisances de Jacques Lacan. Avec le temps, c'était assez bien vu.
Mise à jour : Chez
Enquête & Débat, des extraits de
La Connaissance Inutile
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