2005/04/23

Nous nous nourrissons de slogans — ultralibéralisme, dumping social, fracture sociale, citoyenneté — mais ils sont creux, parce qu'ultrasimplistes

L'exception française ne fait que recouvrir des archaïsmes qui déroutent nos partenaires et qui nous coûtent très cher, en prestige mais aussi en emplois et en niveau de vie
écrit Charles Wyplosz dans Le Monde.
Le rejet de la Constitution va faire apparaître au grand jour ce que les observateurs de la scène européenne ont constaté depuis plusieurs années : la France n'est plus le pilote de l'Europe. …
Contrairement à ce que pensent beaucoup d'entre eux, affirme le professeur d'économie à l'Institut des hautes études internationales de Genève, les Français "lucides" ne sont pas immunisés à une vision du bien et du mal ni à un fondamentalisme du type religieux.
Les Français, et la plupart de leurs dirigeants politiques, ont une vision idéologique de ces questions. Il y a le mal — le profit, les multinationales, les marchés financiers — et le bien — les pauvres, les chômeurs. Profondément empreinte de marxisme, cette vision est à mille lieues de la réalité. Il est politiquement correct de rejeter d'un revers de manche le "modèle anglo-saxon", de le déclarer inadapté à nos traditions. Mais comment expliquer la stagnation prolongée de l'économie française ?

… Nous adorons nous offusquer des fondamentalistes religieux américains qui veulent que l'on n'enseigne plus le darwinisme sans présenter comme également valide le créationnisme, la croyance que Dieu a fait le monde. Mais nous trouvons normal de présenter à égalité les lois du marché et des fadaises marxisantes.…

Nous nous nourrissons de slogans — ultralibéralisme, dumping social, fracture sociale, citoyenneté — mais ils sont creux, parce qu'ultrasimplistes. Nous adorons opposer le modèle social européen à l'individualisme américain, mais il n'y a pas de modèle social européen. C'est bien pour cela que notre insistance à avoir une politique sociale européenne ne peut aboutir : à chacun de balayer devant sa porte, disent nos partenaires, et ils le font.

L'exception française est vraiment unique. Elle est rejetée par la quasi-totalité de nos partenaires qui ont rangé depuis longtemps les querelles idéologiques dans le placard des débats inutiles. Ils s'impatientent des efforts incessants de la France pour imposer ce qu'eux-mêmes perçoivent comme des sources de stagnation et de chômage.

…Il va falloir enterrer la vieille idée que l'Europe sert avant tout à donner du poids à la France pour lui permettre de tutoyer les Etats-Unis.

Nos partenaires ne partagent pas cette vision. S'ils l'ont longtemps tolérée sans la soutenir, le non va leur donner le droit de la rejeter, et ils ne vont pas s'en priver.

Il va aussi falloir comprendre que la compétition économique est le seul moyen de ne pas régresser. … le protectionnisme ne protégera pas les perdants, il ne fera que paralyser les gagnants.

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