2010/11/06

La culture de la jérémiade et un trépignement d'enfants gâtés

Les grèves récentes auront montré le spectacle stupéfiant de lycéens manifestant pour leur retraite
écrit Pascal Bruckner dans Le Monde.
Etrange inversion des temps : avant même d'avoir commencé une vie d'adultes, ces adolescents aux tempes grises pensent déjà à la clore. L'avenir doit être écrit à l'avance et l'existence sécurisée du début à la fin. On songe à ce sondage publié il y a quelques années où 70 % des Français de moins de 30 ans se souhaitaient une carrière de fonctionnaire, protégée de tous les aléas. Les jeunes sont donc bien à l'avant-garde du plus grand parti de la France : le parti de la peur.

Les Français ont peur du monde, peur des autres et, plus encore, de leur propre peur. Et ils accroissent leur frayeur en voulant éliminer le moindre risque. C'est un effroi entretenu jour après jour par les médias et l'intelligentsia et qui vient d'abord de notre incapacité à maîtriser un univers devenu trop complexe pour nous.

La passion française pour la grève est moins un signe de vitalité que de routine, bel exemple d'une conquête transformée en rituel, voire en symptôme dépressif. Olivier Besancenot n'avait-t-il pas proposé en 2003 de créer un grand parti de la grève ? Les enfants pourraient en faire partie avant d'avoir occupé le moindre emploi !

… Nos voisins européens ont été surpris de nous voir descendre dans la rue pour deux années de travail supplémentaires quand eux-mêmes ont déjà accepté la retraite à 65 voire 67 ans. Ils y ont vu un trépignement d'enfants gâtés qui préfèrent casser leurs jouets plutôt que d'accepter une réforme, au demeurant incomplète.

…Dans l'Hexagone, les pessimistes professionnels pullulent … mais s'ils se moquent de tout, ces atrabilaires prennent leur désespoir très au sérieux. On ne plaisante pas avec le désenchantement ! Voyez les trois doctrines dominantes qui se partagent le marché des idées chez nous : la repentance qui exhorte les Français à la honte d'eux-mêmes, le catastrophisme qui brandit le spectre de la fin du monde, la victimisation qui nous dépeint en parias. Toutes ont un trait commun : la culture de la jérémiade.

… La nation entière n'est qu'un immense syndicat de plaignants. … Nous n'avons jamais aussi bien vécu et jamais autant gémi. … La crainte nous paralyse, notre allergie à l'adversité accroît notre faiblesse. On ne mobilise pas une grande nation à partir d'une déploration collective !

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