2011/05/02

Que veut-on ? Une idéologie dominante, avec un credo à réciter sous peine de bûcher médiatique ?

Fauché par la mort à l'âge de 47 ans, [Albert Camus] a passé un temps considérable à répondre à la haine répandue par les journaux qui se déchaînaient contre ses livres, coupables de dire la vérité en un temps où l'on préférait le mensonge avec Sartre que la vérité avec lui
rappelle Michel Onfray en évoquant le philosophe (sur lequel il écrit un livre) qui s'interrogeait, entre autres, «sur la fascination des intellectuels opposés à la peine de mort mais qui la défendent tout de même pourvu qu'elle soit infligée au nom de la prétendue bonne cause du progrès marxiste — il en reste aujourd'hui une poignée tout au culte de "l'idée communiste"...» Michel Onfray (philoshope lui aussi) entend ainsi se joindre à ceux qui, tels Yvan Rioufol ou Elisabeth Lévy, répondent aux bien-pensants, aux "humanistes", aux élites, et à tous les autres membres de leurs réseaux — dont le journal Le Monde — qui essaient de "[pulvériser] celui qui ne dit pas comme eux".
A plus d'un demi-siècle de distance, Camus pense un monde qui semble être encore le nôtre ! Il se révèle également juste dans ses analyses, quand il diagnostique que la polémique a remplacé le dialogue : "Le XXe siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l'insulte." Qu'est-ce que la polémique ? "Elle consiste à considérer l'adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j'insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d'hommes, mais dans un monde de silhouettes."

On ne cherche plus à persuader, on intimide ; on ne veut pas dialoguer, on terrorise ; on ne souhaite plus échanger, on lance l'anathème, on recouvre sous des flots de haine et d'insultes, de mépris et de calomnies. Dans cette perspective, Camus propose une "morale du dialogue" et en appelle à Socrate — auquel il associe Montaigne et Nietzsche.

Quel intellectuel ne souscrit pas aujourd'hui à cette scie prêtée à Voltaire : "Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai toute ma vie pour que vous puissiez vous exprimer", avant d'envoyer un formidable coup de gourdin sur la tête de celui qui ne pense pas comme lui puis d'activer les réseaux d'amis qui, dans les médias, pulvérisent celui qui ne dit pas comme eux ? Les journalistes, si souvent coupables d'inceste intellectuel, prennent ces temps-ci la plume pour dénoncer une poignée de journalistes (Zemmour en navire amiral, Robert Ménard en destroyer, Elisabeth Lévy en corvette, plus quelques autres petits bâtiments de guerre...), tous coupables d'attentats à la pensée correcte. On ne résoudra pas le problème en transformant ses adversaires en ennemis, en les stigmatisant comme pétainistes, néofascistes, crypto-vichystes, sous-marins de Le Pen et autres noms d'oiseaux qui dispensent de débattre.

Que veut-on ? Une idéologie dominante, avec un credo à réciter sous peine de bûcher médiatique ? Mais qui décide alors du catéchisme ? Ceux qui affûtent la guillotine... Je crains qu'en France le sartrisme domine encore comme une imprégnation éthologique dès qu'il s'agit du débat d'idées !

En 1955, Simone de Beauvoir écrivait dans un article intitulé "La pensée de droite aujourd'hui", repris dans Privilèges : "La vérité est une, l'erreur multiple. Ce n'est pas un hasard si la droite professe le pluralisme"... Camus, le philosophe, qui, dans Actuelles II, opposait "la gauche policière" à la "gauche libre" avait alors répondu : "Si la vérité devait être de droite, alors je serais de droite."

Arrêtons donc la haine, le mépris, l'insulte, l'anathème, la guillotine, les autodafés, les bûchers qui, pour l'instant, ne sont que de papier. Si d'aventure le débat véritable prenait la place de la polémique, nul doute que reculerait un peu le spectre des échafauds concrets.

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