Le crime paie toujours, mais la grande criminalité n'est plus tout à fait ce qu'elle a été. Aux parrains corses et marseillais s'ajoutent les voyous issus des cités. Les deux mondes se rencontrent peu. Ils se croisent parfois au hasard des prisons mais ne mêlent pas leurs affaires. Antonio Ferrara, alias Nino, célèbre malfrat originaire de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) reste une exception. Ce petit roi de la cavale, auteur en mars 2003 de l'évasion la plus spectaculaire de la prison de Fresnes – un commando armé de mitraillettes et d'un bazooka avait attaqué l'établissement pénitentiaire pour le faire sortir – a fait ses classes dans le trafic de cannabis, dans sa cité. Puis il est "monté au braquo", où ses talents de perceur de coffres-forts à l'explosif lui ont permis de gagner ses galons dans le gratin du grand banditisme. Si Nino, qui purge une longue peine de prison, n'a rien perdu de son aura, son parcours ne semble pas avoir fait beaucoup d'émules dans les cités. Désormais, les "minots" marseillais comme les "z'y va" de la banlieue parisienne tracent leur route seuls et sans chaperon.
… Avant d'être arrêté et incarcéré en juin 2011, Redoine Faïd, 39 ans, avait déjà purgé une dizaine d'années de prison. Braquages, trafics, Redoine est un bandit de haut vol, accusé du meurtre d'une policière municipale, lors d'une fusillade survenue à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), en mai 2010. Il a grandi à Creil (Oise) où il est très vite devenu le caïd du Plateau, une cité réputée pour être l'une des plaques tournantes du trafic de drogue au nord de Paris. Crâne rasé de près, costume de jeune cadre dynamique, chemise blanche immaculée, Redoine a même écrit un livre en 2010, dans lequel il raconte ses faits de guerre dans la voyoucratie. Attaques de "tirelires à roulettes" (les fourgons blindés) à la kalachnikov, adrénaline garantie, Redoine incarne cette catégorie de criminels apparus sur la scène du banditisme au début des années 1990. Ils ont inventé les go fast, transport de drogue entre l'Espagne et la France à bord de grosses cylindrées conduites à toute vitesse sur les autoroutes. Ils sont fans de Neil McCauley, le personnage joué par Robert De Niro dans Heat. Ont pour héros Al Pacino dans le Scarface de Brian de Palma et confondent la vraie vie avec les jeux vidéo qui ont rythmé leur adolescence.
… Changement aussi de méthodes et de mentalité. Les comptes se règlent toujours à coups de feu, mais le calibre a changé. L'AK 47, la fameuse kalachnikov, remplace de plus en plus souvent le colt 45, l'arme mythique de la pègre. Moins précise mais plus impressionnante, elle est devenue l'arme fétiche des cités. Les tueurs sont moins professionnels, souvent plus jeunes, mais tout aussi efficaces. Violents, audacieux, sans peur et sans scrupule, ils agissent au sein de petites bandes formées au bas des barres d'immeubles. Le sentiment d'appartenance à un territoire domine. Leur fonds de commerce : l'importation et la vente de cannabis. Un business "facile", plus facile que nombre d'activités traditionnelles du banditisme. La prostitution et les jeux, pas assez rémunérateurs, ne les intéressent pas. Ils laissent ça à d'autres, maquereaux originaires des Balkans, de Russie ou d'Europe de l'Est. Les sommes engrangées grâce au deal se comptent en centaines de milliers d'euros. Alors, dans le business, l'assassinat a force de loi.
Comme à Marseille où, depuis trois ou quatre ans, les cités sont devenues le théâtre macabre d'une série de règlements de compte. Là, au cœur de la cité phocéenne et un peu plus qu'ailleurs, les meurtres appellent les meurtres. Le tacatac des rafales de kalachnikov résonne aux oreilles des habitants de la cité Font-Vert, du Clos-la-Rose ou de la Castellane. Autant de cités du nord de la ville connues pour être des hauts lieux du trafic de cannabis. C'est là, dans le dédale des caves et au pied des cages d'escaliers, que s'épanouit ce que les policiers appellent le "néobanditisme". Là que s'affranchissent ceux qui, à 20 ans et parfois moins, rêvent de devenir caïds. Là que des petits délinquants, encore adolescents, tombent sous les balles de bandes rivales, tel Jean-Michel Gomez, 16 ans, fauché au pied de chez lui, au Clos-la-Rose, le 19 novembre 2010.
… La famille Houmani régnait en maître sur la cité [des 4 000, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis)] après avoir neutralisé le clan concurrent des Ben Faiza.A CHAQUE FOIS, LE SCÉNARIO EST LE MÊME : échanges de coups de feu, enlèvements, violences et intimidations. Les butins amassés sont écoulés dans des lieux comme Puerto Banus. Les trafiquants de drogue ont élu ce bout de côte espagnole comme refuge. Porte d'entrée de l'Europe du Sud, c'est sur les plages alentour que se font, toutes les nuits ou presque, les livraisons de cannabis. De là, "l'or gris", l'herbe cultivée au Maroc, remonte à bord de voitures pilotées par des chauffeurs chevronnés payés entre 4 000 et 10 000 euros selon le chargement. Une nuit d'autoroute pour atteindre le sud de la France et la marchandise file vers Toulouse, Marseille, Lyon, Paris, Metz, Nancy, Mulhouse, Lille, etc.
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