L'équipe du contrôleur général des prisons en est sortie effarée. Par l'effroyable odeur d'ordures et d'urine, par les murs qui tombent en ruine, par l'eau qui ruisselle dans les bâtiments, par les rats qui pullulent au point que les surveillants tapent des pieds pendant les rondes de nuit pour les éloigner. Ils ont trouvé un scorpion dans une flaque et surpris un détenu qui lapait l'eau des toilettes, lassé de réclamer depuis trois semaines qu'on répare le robinet de sa cellule. Un autre a fini par leur murmurer, vert de peur, qu'il était l'esclave, y compris sexuel, de ses deux codétenus.Pendant que les intellectuels français pourfendent le manque d'humanisme dans le système capitaliste pourri de ces êtres égoistes et réactionnaires que seraient les Américains — qui n'auraient pas la moindre idée des droits humains et qui seraient rétrogrades comme ce n'est pas possible —, Franck Johannès publie à la une du journal Le Monde un article sur la prison de la honte à Marseille (voir le portfolio ainsi que la vidéo).
Le "surpeuplement des lieux de détention" est du reste une chose que le quotidien de référence décrit comme rien de moins qu'un mal français, tandis que Boris Targe, secrétaire national du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) évoque "une explosion des violences entre détenus et envers les personnels" en concluant que la "situation des prisons est réellement alarmante".
"VIOLATION GRAVE DES DROITS FONDAMENTAUX"
Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, a jugé le naufrage de la prison des Baumettes, à Marseille, suffisamment alarmant pour utiliser la procédure d'urgence, prévue en cas de "violation grave des droits fondamentaux"
… Le traitement des déchets "est problématique", relève poliment le rapport, le réseau électrique "ne couvre pas les besoins actuels" : un surveillant a fait sa ronde, la nuit, dans un noir intégral, avec sa petite lampe de poche personnelle. Sept douches sur dix sont hors d'état. La cuisine a bien été restaurée en 1998, "mais les couloirs du sous-sol où elle est installée sont extrêmement sales". Quand les détenus ne sont pas remontés de promenade, on dépose les barquettes des repas devant les cellules, à la grande satisfaction des rats qui attendent l'heure des repas. La plupart des barquettes finissent par la fenêtre. "Il est miraculeux qu'il n'y ait pas eu d'épidémie, s'indigne le contrôleur, si un détenu était gravement malade, elle se répandrait comme une traînée de poudre."
PAS DE MOYENS ET SURPOPULATION CHRONIQUE
Des travaux ont certes été entrepris. Un nouveau bâtiment a été construit en 1989, mais il pleut dedans, d'ailleurs le sol a bougé et "d'importants défauts de structure" le condamnent à terme. La prison des femmes, pourtant la moins dégradée, va être reconstruite, avec un autre nouveau bâtiment... en 2017. Mais les travaux de l'actuelle maison des hommes, la plus vétuste, ne sont pour l'heure pas prévus.
… Ces maisons d'arrêt sont elles-mêmes pleines à craquer, avec une surpopulation moyenne de 136,6 %.
GREFFIERS ET MAGISTRATS REFUSENT DE VENIR
Le personnel en revanche est rare, et compte tenu des conditions de travail, l'absentéisme est élevé : 2,6 jours par personne et par mois, a calculé le contrôleur. L'un des gardiens se souvient du jour où un rat lui a sauté sur la poitrine, et il en est resté durablement traumatisé. Il arrive qu'il n'y ait qu'un seul surveillant pour un étage, soit deux cents détenus. Les greffiers des juges d'application des peines refusent de venir en détention – du coup, les magistrats n'y vont pas non plus, tout comme les infirmiers du service psychiatrique (SMPR).
Il n'y a de surcroît strictement rien à faire aux Baumettes. … "Dans ces conditions, résume Jean-Marie Delarue, la seule activité est la promenade, jusqu'à six heures par jour."
Les surveillants ne surveillent pas la promenade – "parce qu'ils ont peur" –, ni d'ailleurs les douches, où se règlent des comptes sanglants. Depuis le début de l'année, les médecins ont recensé quatorze contusions multiples, huit plaies profondes, sept fractures diverses, trois traumas crâniens, un viol. C'est qu'en prison, tout se paie. Comme le téléphone. "J'ai deux prestataires de téléphone, dit un membre de la direction. Le concessionnaire et les caïds."
… Les plus pauvres, ou les moins forts, s'endettent (15 % en moyenne sont indigents), beaucoup n'osent plus sortir de leurs cellules, même pour la douche. D'autres passent au service des gros bras – ou cherchent à fuir. Les feux de cellule s'expliquent souvent par le besoin urgent d'échapper à un créancier. Ça ne résout rien, "on ne sait pas si on ne va pas mettre la victime entre les mains d'autres bourreaux", explique Jean-Marie Delarue, et la menace se porte tout aussi bien à l'extérieur, sur les familles des détenus. "L'état matériel, la pénurie d'activités, la violence : tout se tient. Et cela se passe à Marseille, en 2012."Des prisonniers témoignent à Simon Piel que "Les Baumettes ce sont des oubliettes" et que "C'est le Moyen Age" :
… ses neuf mois passés dans l'établissement des Baumettes, le centre pénitentiaire de Marseille, dont il est sorti en 2006, l'ont profondément marqué. "On a essayé de me racketter mes baskets ou pantalon, mais je m'étais fait des potes balèzes. Et puis j'ai fait le guerrier. Quand les mecs savent que s'ils veulent vous agresser, il faudra se taper, ils réfléchissent. Si vous acceptez une fois, c'est terminé." Les escaliers, les douches et les espaces de promenade sont les endroits les plus redoutés. "Il ne faut jamais se déplacer seul, explique-t-il. Il n'y a ni caméras, ni surveillants dans ces endroits-là. Quand j'y étais, un type s'est pris trois coups de couteau dans les escaliers. Etre seul, c'est être une cible."
Évoquant "l'indignité de la situation actuelle" et un "scandale national", un éditorial du Monde conclut que "la France régresse et traite ses détenus de façon inhumaine" :
… S'ajoute à cette violence quotidienne et à la difficulté pour un personnel en manque d'effectifs à la gérer, une vétusté qui n'épargne aucun bâtiment. "C'est le Moyen Age", explique un ancien détenu. "Les rats font la taille d'un gros chat", décrit un autre qui pourtant se trouvait lui dans le bâtiment D. Il précise : "Ma cellule était infecte au niveau hygiène : les WC étaient effroyables, il y avait des poils plein le matelas et la couverture." Quant aux cafards, il en a identifié "trois races différentes".
Camus l'assurait : " Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d'une nation qu'en visitant ses prisons. " Visiter la prison des Baumettes, à Marseille, montre que la France régresse et traite ses détenus de façon inhumaine.
Jeudi 6 décembre, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a dressé un bilan effarant de l'état de cet établissement pénitentiaire : les rats et cafards pullulent, les cellules aux fenêtres brisées sont d'une saleté repoussante, des détenus, faute d'eau courante, boivent celle des toilettes. La prison est surpeuplée, l'inactivité forcée, les règlements de comptes et le racket généralisés. De fait, la privation de liberté n'y a plus aucun sens, car elle produit des enragés plus violents encore à la sortie qu'à l'entrée.
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