En rejetant cette Constitution, les Français semblent exprimer la nostalgie d'une époque où leur influence dominante et leur identité au sein de cette Europe étaient garantiesécrit Philip Gordon dans Le Monde. Sur la même page des débats, Erhard Friedberg décrit Le gallo-centrisme, tare si française.
…n'est pas vrai tout ce qui se dit ! Le débat n'était pas exemplaire, il n'a pas amélioré le niveau de connaissances des Français sur l'Europe et certainement pas servi la cause de l'Europe en France.Mais l'Autrichien francisé, professeur des universités et directeur du Centre de sociologie des organisations à l'Institut d'études politiques de Paris, fait valoir qu'en aucun cas la prise de position française "ne démontre une connaissance des réalités européennes"
C'est d'abord, naturellement, un reproche qui s'adresse aux partisans du non. Ils n'ont pas fait preuve d'information, mais de désinformation systématique. … C'était, au mieux, des erreurs ou des demi-vérités, au pire des mensonges purs et simples, inventés avec le seul souci de faire peur, et ainsi de faire gagner des voix à la cause sacrée du non.
Ces contributions n'ont pas favorisé un débat éclairé ; elles n'ont d'ailleurs pas cherché à le faire. Dans leur diversité, tous les partisans du non (de gauche, souverainiste et anti-étranger d'extrême droite) ont joué sur la peur, sur les réflexes de retrait sur l'Hexagone, sur la nostalgie du cadre étatique national.
Quant aux partisans du oui, ils n'ont pas davantage amélioré le niveau d'information des Français ni fait avancer la cause de l'Europe. Ce, pour la simple raison qu'ils ont centré toute leur argumentation autour de deux points, modulés différemment par les uns et les autres, mais qui avaient en commun un gallo-centrisme d'autant plus gênant qu'il était soit inavoué, soit totalement inconscient. Le premier de ces points a développé l'idée que la Constitution reflétait les conceptions françaises, qu'elle était en fait "française" et, à ce titre, acceptable et bonne.
Le second a porté l'idée que, par un vote positif, on "renforcerait la position française au sein de l'Europe" afin d'éviter que ne l'emportent les forces malignes du libéralisme et du marché (version du oui de gauche) ou les tentatives de nos partenaires de grignoter les avantages que la France retirerait de l'UE (version plus cynique du oui de droite).
Le message transporté par cette argumentation était bien gallo-centriste : il considérait comme acquise la supériorité des conceptions constitutionnelles et politiques de la France et impliquait une vision quelque peu dédaigneuse des discussions qui avaient permis le compromis final. Mais, derrière cette argumentation gallo-centriste, se développait une vision bien plus pernicieuse, dans la mesure où elle suggérait que l'Europe était un champ de bataille hostile, où la France devait constamment se défendre.
Le moins que l'on puisse dire est qu'une telle argumentation n'est pas propice à développer une image positive de l'Europe, à entretenir l'idéal de la construction européenne, dont les bienfaits l'emportent largement sur les contraintes. Les discussions, indispensables à la construction de positions communes et acceptables pour tous les participants, ne sont jamais présentées en France comme un enrichissement : on s'y réfère de manière dédaigneuse, comme s'il s'agissait d'un appauvrissement, voire d'un avilissement de la pureté et de la logique impeccable d'une proposition initiale.
La tendance est à brocarder le byzantisme de la bureaucratie bruxelloise, sans comprendre que le processus politique européen, pour complexe et sinueux qu'il soit, est souvent infiniment plus ouvert à la délibération, plus riche et diversifié que ne l'est le processus administratif et législatif français.
Au fond, le non-dit de cette campagne, partagée par la grande majorité de la classe politique, est une vision étroitement instrumentaliste et gallo-centriste de l'Europe. Celle-ci doit servir les intérêts français et refléter les conceptions françaises : dans cette seule mesure, elle est intéressante, à cette condition seulement elle est acceptable.
Le soir du référendum, sur un plateau de télévision, il y eut une belle illustration de cette arrogance française : un certain nombre de participants développaient des arguments s'appuyant sur le non français pour suggérer qu'il était désormais inutile de poursuivre le processus de ratification à l'échelle des Vingt-Cinq. La France avait parlé, elle avait dit non, il était tout simplement superfétatoire de continuer la procédure.
Lorsque le président du Parlement européen a calmement répondu que "la procédure de ratification allait se poursuivre, que la France décidait pour la France, mais qu'en Europe il y avait 25 pays, donc 25 processus de ratification", les réactions furent édifiantes. A peu d'exception près, dont celle de l'ancien ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, qui connaît bien l'Europe, on pouvait lire sur les visages des présents (y compris du journaliste) une expression d'étonnement, de consternation incrédule, voire un début d'irritation.
Comment ? L'avis de la France n'était pas plus important que celui d'un autre pays ? On ne reconnaissait donc pas à la France la capacité de parler pour les autres peuples ni celle de leur montrer le chemin (hors de l'enfer"ultralibéral", vers lequel conduisait tout droit le projet Constitution) ?
Perçait là tout un non-dit de la position française face à l'Europe, mélange d'arrogance, de condescendance de donneur de leçons et d'instrumentalisation pure et simple, une position qui est partagée bien au-delà des partisans du non au référendum du 29 mai.
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