Interrogé par Jean-Baptiste Chastand, Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la protection sociale au Centre d'études européennes de Sciences Po, revient sur la politique menée en France depuis trente ans pour tenter de sauver l'industrie.
La France fait-elle l'erreur de défendre une industrie vieillissante ?
Oui, la France a consacré beaucoup trop d'énergie, de temps et de subventions à sauver des secteurs en déclin, en perdant de vue les autres voies qui passent par le renouvellement ou la conquête de nouveaux secteurs industriels. Notre économie ne peut pas être tirée par une industrie qui a été conçue soit après la seconde guerre mondiale pour l'automobile, soit dans les années 1970 pour Airbus, le TGV ou le nucléaire. Les dirigeants de l'industrie automobile disent eux-mêmes que pour qu'elle survive, il faut supprimer des postes.
Comment expliquez-vous que la France persiste dans cette stratégie ?
Beaucoup de monde y trouve son intérêt. Le patronat et les syndicats sont enclins à défendre les industries vieillissantes. Le patronat semble n'avoir qu'une obsession : assouplir le droit du travail pour réduire toujours plus le coût de la main-d'oeuvre, et sauver ce qui peut l'être. Les syndicats sont surtout présents dans la vieille industrie et le secteur public. Ils défendent donc la survie de ces secteurs, sans suffisamment se préoccuper du sort de ceux qui sont précarisés, pour sauver l'industrie. Cependant, quand la demande de flexibilisation est trop forte, ils finissent généralement par céder, pas sur les droits de ceux qu'ils représentent, mais sur ceux des gens peu syndiqués, à savoir les non-diplômés, les femmes, les jeunes ou les migrants qui travaillent dans les services et pour qui les emplois atypiques se multiplient.
Tout le monde s'accorde pour dire que nous produisons trop cher. Mais nous pouvons en tirer deux conclusions : soit il faut améliorer ce que nous produisons, aligner la qualité de nos produits et services sur nos coûts, et donc monter en gamme, soit il faut produire la même chose mais pour moins cher. L'erreur a été de choisir la deuxième option. Cette stratégie de low cost, ce refus de produire mieux, tout cela a des conséquences rudes pour notre Etat-providence, qui se trouve être le plus cher du monde : en jouant le low cost, nous ne produisons pas suffisamment de richesse pour le financer.
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