Un des plus grands photographes américains de New York s'appelle Garry Winogrand (1928-1984)
nous raconte
Pauline Auzou dans le cadre d'un article du monde de la série
Ce que l'on croit voir... où elle peut puiser dans ce sujet cher aux élites et aux journalistes européens tout en étant adoré des Européens moyens — le racisme (prétendu ou réel) en Amérique.
Dans le genre compulsif. Il descendait dans la rue, marchait, et
déclenchait comme un forcené, se demandant à quoi pouvaient ressembler
les gens une fois qu'ils étaient prisonniers de son objectif grand
angle.
Il essayait d'y caser le plus possible d'informations, sans message à livrer. "Il trouvait ennuyeuses et trop évidentes les photographies à message politique",
confirme Peter Galassi, ancien directeur de la photographie au Musée
d'art moderne de New York (MoMA). Il ne considérait pas, non plus, qu'il
avait une responsabilité sociale. Ses détracteurs n'appréciaient guère
ce formalisme assumé. Les photos de Garry Winogrand reflètent pourtant
la société américaine, celle de la consommation, de la libération des
moeurs, le tout entre brutalité et tendresse.
Ce couple impeccable, elle blonde, lui noir, portant deux singes
habillés comme des enfants, est une des grandes photographies de
Winogrand. Elle a été prise en 1967. Elle figure dans sa première
exposition en solo au MoMA, en 1969, intitulée "The Animals", qui était
accompagnée d'un livre du même nom. La première lecture de l'image,
donc, nous oriente vers les animaux, et non vers ceux qui les tiennent
dans les bras.
… Une autre lecture de l'image est possible, qui nous ramène au couple.
Rappelons le contexte. L'ivresse joyeuse des années 1950 aux Etats-Unis
est passée, et les années 1960 se réveillent avec la gueule de bois. La
guerre du Vietnam, l'assassinat de John Kennedy et la lutte des Noirs
américains pour l'égalité des droits civiques impriment leur marque sur
cette décennie. Les photos de Garry Winogrand, non sans humour,
reflètent bien ce pessimisme ambiant.
L'image de ce couple a quelque chose d'amusant, avec ces deux petits
singes qui se comportent comme s'ils étaient ses enfants. Il y a encore
le visage sérieux des "adultes", comme si la scène n'avait rien
d'incongru, qui renforce la froideur sinistre d'une photo de famille
pourtant peu ordinaire. Et, surtout, il s'agit d'un Noir en couple avec
une Blanche, qui plus est blonde. …
RACISME AMBIANT DANS CETTE PHOTO
Nous sommes ici à New York, ville plus libérale que beaucoup d'autres
aux Etats-Unis. A sa façon, et par des chemins de traverse, Garry
Winogrand parle du racisme ambiant dans cette photo où les enfants ne
sont pas humains : ce sont des primates nés d'une union contre nature. "Winogrand
a évidemment conscience, en la réalisant, de la dimension raciste de
son image, affirme Peter Galassi. Néanmoins, il n'a fait que
photographier une réalité qui existe, une scène anodine qui se passe
dans un zoo. Si on l'avait accusé de racisme, il aurait alors répondu
que c'est juste une image."
… Aujourd'hui, il est à parier que, dans un film américain à grand
spectacle, ce couple symboliserait l'harmonie apparente d'une nation
multiculturelle.
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