2004/11/19

"Au rebours des Américains, nous respectons chez nous les droits de l'homme mais nous nous accommodons du despotisme ailleurs…"

Guy Sorman :
Européens ? Chaque jour nous le sommes moins parce que nous devenons plus américains. Américains par nos modes de vie, de consommer, de nous distraire. Américains, parce que citoyens d'un monde que les Etats-Unis façonnent. On peut s'en réjouir, rappelant que ce monde-là aurait pu tourner soviétique. On peut aussi s'en indigner, une posture qui occupe ici le plus grand nombre de nos dirigeants et chroniqueurs.

… le modèle américain … prospère, avant tout, en raison de ses vertus et de leur attraction : si tant d'hommes souhaitent devenir Américains, en restant chez eux ou en émigrant là-bas, c'est que les Etats-Unis tendent ou prétendent à l'universel. A tous, ils laissent miroiter la liberté et l'égale dignité, sans discrimination de race ni de religion ; chez eux ils procurent une prospérité économique sans précédent et ils la répandent ailleurs. Qu'exigent-ils en retour ? Un minimum d'allégeance mais nulle servitude. Leur reprochera-t-on d'exporter la démocratie sans tenir compte de la diversité des cultures ? Certes, mais n'est-ce pas préférable à la promotion de la tyrannie sous couvert de cette diversité culturelle ? Et l'Europe avance-t-elle autre chose ?

L'Europe aussi est un havre de liberté mais seulement pour les Européens : au rebours des Américains, qui se font de la démocratie une idée universelle, nous respectons chez nous les droits de l'homme mais nous nous accommodons du despotisme ailleurs. Serions-nous plus tolérants que les Américains ? Hors d'Europe, nous tolérons tout ; à l'intérieur, un foulard nous inquiète et il n'est pas certain pour les 13 millions de musulmans vivant en Europe qu'ils soient véritablement des nôtres.

Proposons-nous une norme universelle de prospérité ? Il existe bien un modèle européen – le capitalisme rhénan décrit par Michel Albert – d'économie administrée par l'Etat et cogérée par les syndicats : il a ses vertus, mais n'a-t-il pas en trente ans réduit notre revenu d'un tiers par comparaison avec celui des Etats-Unis ? Sommes-nous un symbole de solidarité ? Nous paraissons plus solidaires que les Américains, mais cette solidarité exclut dix pour cent de chômeurs. Et on sait dans le tiers-monde que l'Europe est égoïste. Cette Europe au présent n'est donc pas une alternative au modèle américain. Pourrait-elle le devenir ? …

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