2004/07/01

La France qui sait dire Non
(quoique pas à tout le monde)

Dans un article avec une douzaine de citations (dont toutes sont de la bouche de gouvernants français), Claire Tréan, que nous avons déjà eu l'occasion de croiser par le passé, tient à expliquer que c'est par principe que Jacques Chirac a tenu tête à George W Bush en Turquie ("Allié mais pas serviteur", Jacques Chirac veut convaincre que la France n'est pas isolée) :
Avant de quitter Istanbul, où s'achevait le sommet de l'OTAN mardi 29 juin, Jacques Chirac, qui pendant deux jours était apparu comme le contradicteur du président américain, a tenu à expliquer, lors d'une conférence de presse, que cette politique ne vaut à la France aucun ostracisme. "Nous sommes des amis, des alliés des Etats-Unis mais pas des serviteurs. Quand nous ne sommes pas d'accord, nous le disons, sans agressivité mais avec fermeté", a répondu le président de la République à une question sur les désaccords franco-américains. …

A l'OTAN, la France a été seule à faire barrage à différents projets américains. Mais la concession essentielle, les Etats-Unis l'avaient faite avant Istanbul, en reconnaissant qu'il n'était "pas réaliste" pour eux de chercher une relève des troupes américaines en Irak par l'Alliance atlantique. L'objectif de la France a été ensuite de veiller à ce que les Etats-Unis, par le biais d'une mission de formation des forces irakiennes, n'impliquent pas l'ensemble de l'Alliance dans une opération militaire qu'ils ont à l'origine décidée unilatéralement.

La France qui veille ; la France qui est un allié mais qui n'est pas un serviteur ; la France qui soutient que les amis, ça laisse les autres amis s'exprimer, même (surtout?) s'ils ne sont pas d'accord ; la France qui rappelle que les ennuis d'autrui, c'est leur propre faute… Tout ça c'est touchant…

Le seul problème avec ces principes éminemment louables, ainsi qu'avec les leçons, c'est qu'il n'y en a que, toujours et uniquement, pour les Ricains…

Autant de questions pour lesquelles on ne peut pas dire exactement que les réponses fusent.

Quoi qu'il en soit, qu'apprenons-nous dans l'éditorial 14 pages plus loin, intitulé Splendide isolement?

Depuis quinze mois et le début de l'intervention américano-britannique en Irak, Jacques Chirac a une équation diplomatique difficile à résoudre : maintenir son opposition à la guerre sans passer pour un nostalgique honteux de Saddam Hussein — ce que les Américains ont insinué à plusieurs reprises — et sans manquer à ses devoirs d'allié.

"Ce que les Américains ont insinué à plusieurs reprises"?! Est-ce que les Français (et notamment Le Monde) ne font pas des insinuations — et plus, bien plus ! — à longueur de journée, avec leurs histoires de "mensonges", de "guerre pour le pétrole", etc? Remettre en question Washington, ou les intentions ("inavouables") de leurs leaders, n'est-ce pas devenu le sport national en France? Mais que d'autres fassent la même chose avec la France, ou qu'ils se posent juste des questions, que nenni…

La situation en Irak a apporté des arguments au président de la République. L'absence d'armes de destruction massive a montré que l'intervention militaire était inutile pour désarmer Saddam. Les violences et les rébellions ont conforté la thèse française selon laquelle l'ingérence militaire de puissances occidentales dans un pays arabe nourrirait le terrorisme au lieu de l'étouffer.

Parmi ses pairs de l'Alliance Atlantique et de l'Union européenne, Jacques Chirac n'est pas le seul à le penser. Le problème pour la diplomatie française est qu'il est bien souvent le seul à le dire. Au sommet de l'OTAN qui s'est achevé mardi 29 juin à Istanbul, la France a été isolée dans son refus de céder aux demandes américaines et dans sa critique sans fard des prises de position publiques de George W. Bush. Que, devant les journalistes, le président de la République ait affirmé le contraire ne change rien à cette réalité.

En d'autres mots, le seul "problème pour la diplomatie française", c'est que les autres membres de l'UE sont des lâches, des vendus, et des aveugles sans vision. Dominique Dhombres n'écrivait-il pas, avec plus d'un brin de mépris à propos des nouveaux entrants en Europe, que "Une zone de libre-échange sous protection militaire et diplomatique américaine leur suffit amplement"?
Jacques Chirac a quelques raisons d'être irrité. George W. Bush n'a-t-il pas inauguré sa visite à Istanbul en faisant la leçon aux Européens quant à l'entrée de la Turquie dans l'UE ?
Comme l'écrit Window in Lebanon, "Jacques Chirac considère que George Bush ferait mieux de s'occuper de ses affaires, lui ne donne pas de conseils sur le Mexique. Pardon ? Chirac et sa bande ne donnent pas des leçons au monde entier ? J'en reste sans voix, collectionnant depuis des années les discours moralisateurs de Villepin et al. Rappelons quand même que Chirac était content que les Etats-Unis interviennent au Kosovo il y a quelques années, bien que ce ne soit pas exactement la sphère d'action américaine "à quatre heures de Paris", comme on disait."
…Un "terrain" sur lequel il n'a rien à faire, a répliqué le président français, qui a ensuite profité de chaque occasion pour manifester sa différence avec la politique américaine, sur l'Irak, l'Afghanistan, le conflit israélo-palestinien...
Mais comme on l'a vu, peu de Français semblent jamais avoir pris la peine de manifester leur différence avec la politique de Poutine, Hou, Mugabe, Gbagbo, et Saddam Hussein.
La France peut tirer quelques satisfactions d'avoir poussé la Maison Blanche à renoncer à ses propositions les plus extrêmes concernant l'implication de l'OTAN en Irak ou le projet de Grand Moyen-Orient.
Heureusement que Poutine, Hou, Mugabe, Gbagbo, et Saddam Hussein n'ont (ou n'avaient) pas de position extrêmes, eux! Rappelez-vous : la France veille !
Elle n'en a pas moins été obligée d'accepter, dans toutes les récentes réunions internationales, l'ordre du jour proposé par George W. Bush.
Quelle infamie! J'en ai les larmes de colère qui m'en viennent aux yeux!
C'est un combat d'arrière-garde qui illustre le dilemme de Jacques Chirac : ne pas s'opposer à la reconstruction d'un Irak "souverain" sans pour autant se renier.
Heureusement que les Français savent bien choisir leurs combats. Heureusement que la France sait bien choisir le leader à qui il faut s'opposer, par principe. Heureusement que le pays des droits de l'Homme sait bien choisir lequel de ses partenaires — USA, Russie, Chine, Zimbabwe, Côte d'Ivoire, Irak (à l'ancienne) — envers qui il ne faut pas se renier et envers qui il faut adapter la position du splendide isolement.

(Merci à W, Douglas, et Expat Yank)

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