Le quotidien de référence nous apprend que
George [W] Bush débute une difficile épreuve diplomatique en Europe. "Côté français, nous explique Claire Tréan, on n'apprécie guère le rapprochement que fait ouvertement, depuis quelque temps,
George W. Bush entre le combat pour la liberté de l'Europe que fut la bataille de Normandie et l'intervention actuelle en Irak."
Ah! Vous n'appréciez pas cette comparaison?! Comme c'est bon à savoir! Peut-être qu'il y a des gens qui n'apprécient pas trop qu'il est devenu habituel en France de faire la comparaison entre Bush et Hitler, entre l'armée américaine et les Nazis, entre l'Irak de Saddam Hussein et la Pologne de 1939 (et non pas parce que ces gens apprécient particulièrement Deubeliou ; non, parce qu'ils trouvent ces comparaisons tant soit peu exagéréees, auto-congratulatoires (pour ceux qui les prononcent), méprisantes, et, d'un point de vue historique, totalement incorrectes).
Regardons ce que nous dit l'article en page 2. Lecture faite, c'est de la part du journal "indépendant" une apologie complète (comme nous en avons déjà vu) de la politique de Paris, et un tir de barrage sur l'administration américaine. L'article, qui prend exactement la moitié d'une page, ne fait que donner la parole ironique, cynique, indignée, moqueur, qu'à un membre de l'élite française après l'autre (surtout, des "proches de Chirac"), avec moult "grincements de dents". Sur une quinzaine de citations, la plupart viennent de "l'entourage de Jacques Chirac", les autres (américaines) étant inconséquentes ou ne se trouvant entre guillements justement que pour leur donner un ton de détachement ironique.
Claire Tréan pose la question (en répétant la formule utilisée auparavant, pour que ce soit bien clair) : "Fallait-il en faire tant et offrir cette tribune à M. Bush, qui ne se prive pas de faire un rapprochement entre le combat pour la liberté de l'Europe que fut la bataille de Normandie et l'intervention actuelle en Irak ?" Oui, que ce soit bien clair : c'est sans le moindre doute que la bataille de Normandie fut le combat pour la liberté (pas de désaccords, là) tout comme c'est sans le moindre doute que l'intervention actuelle en Irak ne le fut pas. Là, franchement, je souhaiterais trancher moi-même, mais Claire Tréan, les responsables du Monde, les élites bien-pensantes françaises l'ont déjà fait pour moi. Par ailleurs, que ce soit aussi clair (d'après le début de la question) : la démocratie n'est pas viable si la parole est donnée à des Yankees de l'espèce de W. Seul doit prévaloir le point de vue auto-congratulatoire des humanistes auto-proclamés.
Cette opinion est sèche, claire, et sans appel. Que personne ne s'avise de faire la comparaison entre le régime nazi et le régime baasiste. Que personne ne s'avise de faire la comparaison entre l'écroulement du Troisième Reich et celui du régime du Raïs irakien. Que personne ne s'avise de faire la comparaison entre Adolf Hitler et Saddam Hussein! La comparaison du Führer avec George Bush, oui — et plutôt deux fois qu'une! —, mais avec Saddam, que nenni. La finesse des positions des classes dirigeantes dans l'Hexagone est, encore une fois, d'une clarté remarquable. Et le l'oublions pas : avec leur lucidité légendaire!…
Mon article pourrait s'arrêter là. Mais je me suis posé la question : si Saddam était resté au pouvoir, aurait-on fait tant de manières pour exprimer son désaccord envers lui, surtout pendant les célébrations de 2004? Non, pas celles en Normandie, celles à Bagdad. Je m'explique : il s'avère qu'il y a un autre 60ème anniversaire cette année. Celle du parti baasiste. Eh oui, il fut fondé par un Syrien (d'ailleurs, un Chrétien) en 1944.
Je suis en train de lire un livre par l'un des historiens militaires les plus respectés de notre ère. Dans The Iraq War, John Keegan ne nous parle pas seulement des opérations militaires de mars à avril 2003, mais donne le contexte et les antécédents de la guerre d'Irak, tant sur l'histoire de Mésopotamie que sur la scission historique entre Sunnites et Shi'ites, tant sur l'effondrement de l'empire ottoman que sur les rivalités contemporaines. Ce qui a retenu mon attention (ce qui a, pour tout vous avouer, fait monter une colère sourde en moi — surtout quand je pense aux comparaisons et aux refus de comparer évoqués dans les paragraphes précédents), c'est l'information sur les origines du parti baasiste à la fin du chapitre 3.
Parlant de Saddam Hussein : "La nature de son régime devait plus aux idéologies d'intolérance et aux systèmes de répression du 20ème siècle qu'à quoi que ce soit du passé lointain" (c'est-à-dire de la tradition).
Parlant du parti baasiste : "Michel Aflaq, le fondateur du baasisme, avait modellé l'organisation de son parti sur celui du mouvement nazi de Hitler, qu'il admirait."
Rappelons-nous de
l'article de Rémy Ourdan en mars : "Contrairement à ce que croient souvent les Européens, le fait d'être opposé à l'occupation américaine ne fait absolument pas monter la cote de popularité de l'Europe, ou de tel ou tel pays, en Irak." Un
article seul, isolé, dont le contenu semble démentir toutes les initiatives parisiennes de ces derniers 20 mois, mais dont on se garde bien de nous en servir d'autres bien qu'il semble capital pour la bonne compréhension du Moyen-Orient. Pour revenir aux plages du Débarquement, en voici un autre, d'article isolé, dans lequel on apprend que
"La liberté, il faut en avoir été privé pour savoir ce que c'est" (donc, que contrairement à ce que aiment répéter nos élites à longueur de journée, 365 jours par an, la guerre n'est peut-être
pas toujours la pire des situations). Des articles qui en disent long. Que disait
Churchill, déjà? "Les hommes trébuchent parfois sur la vérité, mais la plupart se redressent et passent vite leur chemin comme si rien ne leur était arrivé."
Allez-y, Claire Tréan : répétez-le nous, on a encore envie de l'entendre. "Côté français, on n'apprécie guère le rapprochement que fait Bush entre le combat pour la liberté de l'Europe et l'intervention actuelle en Irak." Et citez-nous encore tout plein de proches du pouvoir français, ces spécialistes de ce qui est (néo-)fasciste et de ce qui ne l'est pas. C'est d'une lecture on ne peut plus édifiante.
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