2004/05/01

Lecteurs et Médiateurs

Nombre de lecteurs qualifient de gentil ou d'honnête le fait qu'un journaliste ait pu prendre la peine de répondre à leurs lettres au courrier des lecteurs d'un journal, et je suis d'accord. Toutefois, je considère que ces réponses peuvent être une solution de facilité, sinon un leurre, fût-il inconscient. (En voici une autre, impliquant une erreur d'un tout autre registre et, il est vrai, d'ordre bien moins sérieuse, de Éric Fottorino et où le nom de Marion Van Renterghem se trouve aussi être mentionnée.) Si le courrier n'est pas accompagné par sa publication dans le support en question, en effet, le mea culpa (et encore, celui-ci est souvent conditionnel) équivaut à être inexistant puisque l'aveu que l'article était (au moins partiellement) fautif ou inégal n'à été fait qu'à un seul lecteur, et non à l'ensemble des dizaines de milliers de lecteurs du journal (ceux-là même qui, tous, ont lu l'article original).

Il est certain qu'aucun journal n'a la place pour passer tous les courriers que lui envoie ses lecteurs. Cela dit, quand on regarde le contenu de certains courriers dans le quotidien de référence (une vingtaine de lignes expliquant pourquoi le D dans le nom du Général De Gaulle doit prendre une majusucle, par exemple, ou l'histoire du vin d'une région qui occupe deux colonnes, etc), on peut se dire que l'absence de certaines polémiques n'est pas sans être à leur avantage. (Stéphane Courtois fait une liste d'autres exemples dans son "Du passé, faisons table rase!" [voir par exemple p 87-88], livre que le quotidien ne semble jamais — selon une recherche dans les archives sur son site — avoir évoqué dans ses pages.)

Qui sait? Peut-être Le Monde publiera la lettre de Douglas (j'en doute) où le "médiateur" l'incluera-t'il dans sa rubique hebdomadaire (où la force de tels courriers, il faut le préciser, est diluée puisque perdus dans un maelström d'opinions dans lequel Robert Solé trie et oppose les unes aux autres afin d'avoir l'avantage de présenter le dernier mot ; une conclusion dans laquelle, lui aussi, a l'avantage de se présenter (lui comme son journal) comme étant foncièrement juste, accessible, et ouvert aux critiques).

Cela dit, l'idéal aurait été évidemment qu'un bastion du journalisme ne laissa pas passer de telles vindictes in the first place et/ou que des journalistes sérieux, "assermentés" à l'objectivité, ne les aient pas écrites, in the first place, ces vindictes. Espoir vain, puisque comme le dit Pierre Rigoulot — dans son excellent livre que je conseille vivement — le quotidien de référence "confond de plus en plus information et combat politique".

(Après que j'ai écrit ce qui précède, est paru l'exemplaire du 7 février 2004.)

Et voilà. Le Monde a publié la lettre d'un lecteur (d'une lectrice plutôt) concernant la détention du “blagueur de bombes” français. Comme d'habitude, ils ne choisissent pas celle qui est la plus percutante, mais une qui leur permet, quand même, en fin de compte, de se tirer d'affaire puisqu'il leur permet de rappeler à tout le monde ce qui est essentiel dans la vie : fustiger la société aux États-Unis. Et elle ne vient ni du New Yorkais ni même d'un Américain, mais d'une Française (étudiant à Yale). Sans doute les étrangers n'ont-ils pas la même capacité de raisonner que les habitants de l'Hexagone. La lettre de Laure Marcellesi commence bien par évoquer "l'exaspération [américaine] devant le nombre croissant de ces « plaisanteries » à la francaise", mais elle se termine par une boutade sur les "détenus de Guantanamo, qui sont, eux — et non M. Moulet, ne lui en déplaise —, de vraies victimes d'un dérapage du droit aux États-Unis". Une occasion, comme tant d'autres, pour Le Monde de rattraper le coup en évoquant un "autre" crime américain, un qui serait encore plus grave. Ouf. Sauvés.

(Si jamais Le Monde se voyait obligé de publier un texte un peu plus équilibré sur le sort des détenus de Guantánamo (ce qui me paraît peu vraisemblable), ils pourraient à ce moment-là se rabattre sur, mettons, le couloir de la mort ; car à chaque fois qu'on fait valoir quelques faits saillants sur les accusations dont est sujette l'Amérique, les antiaméricains prennent comme stratégie de faire une pirouette et de "sauter de côté", du coq à l'âne, et aborder un autre sujet "brûlant" dans la liste des péchés américains, liste qu'ils connaissent par cœur et devant laquelle les péchés de tous les autres pays et de tous les autres types de société du monde, vrais ou imaginaires, paraissent insignifiants.)

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