Le 14 décembre 2003, le monde entier apprend que la veille, Saddam Hussein avait été capturé, à la grande joie de la plupart des Irakiens ("un jour de joie pour mon peuple", écrit Haitham Rashid Wihaib). Enfin, pas tout à fait, en tout cas pas selon les infos télévisées étatiques françaises. Car comment réagit France 2 ? La visite médicale du dictateur boucher par un médecin militaire américain est ressenti comme "une forme d'humiliation" en Irak, apprend-t'on par les infos de 20 heures, qui précisent que "chaque Irakien se sent humilié". Rien que ça. Et les familles des victimes massacrées dans les caves des géôles du Raïs, elles se sentent humiliées, elles aussi? Et en ce qui concerne les citoyens dont le lot quotidien comprend certes pénuries d'eau et d'électricité, ainsi que la présence de bandes criminelles et d'assassins, doit-on pleurer sur un sort qui ne comprend plus une police stalinienne omniprésente qui pouvait, impunément, enlever un parent, un époux, ou un enfant à tout jamais? Il parait qu'aujourd'hui, l'Irak doit faire face à "l'insécurité". Il est sûr que le fait de pouvoir être arrêté, torturé, et occis à n'importe quel moment de la journée, tout au long de l'année, ne représentait d'aucune façon l'insécurité. N'est-ce pas?
PS : Décidément, il ne faut s'étonner de rien. Deux jours après, France 2 récidive, en interrogeant des gens dans les pays arabes, au Vatican ("un cardinal"), aux propres États-Unis ("des vétérans"), qui s'offusquent (!) des images du barbu dans le cabinet médical et qui pensent que le malheureux Saddam aurait été traité "comme une vache". Les Américains n'auraient-ils pas plutôt pu diffuser des images du Raïs après qu'ils l'aient rasé et habillé en costume? demande le correspondant de France 2 à Washington, tandis qu'un éditorialiste au Monde prend ombrage et affirme que si cette "contemplation … ne vous a pas mis légèrement mal à l'aise … c'est que vous êtes encore un être humain" (!) . Oui, MM. Sampair et Dhombres. Moi aussi, mes yeux se remplissent de larmes pour le traitement "inacceptable" (adjectif très à la mode dans l'Hexagone) réservé à ce pauvre homme "humilié". Et comme d'habitude, il est clair que les êtres les moins "humains" sur cette planète, ce ne sont pas les autocrates, les dictateurs, et les tueurs en série (par séries de dizaines de milliers dans ce cas-ci) de toute espèce, non, ce sont (vous faites bien de nous le rappeler) les Yankees.
PS 2 : Lors d'une récente discussion (mélangeant pêle-mêle athées, chrétiens, et juifs), tout le monde s'accorda que c'est une bonne chose que le Raïs ait été mis hors d'état de nuire. Et voilà, soudain, qu'il y a une pointe d'émotion. "C'était honteux (et inutile) de l'humilier ainsi", s'exclama une Française, avant de procéder à une comparaison avec la seconde guerre mondiale : "Même les accusés de Nuremberg ont eu le droit de se défendre dignement." À cela, on peut répondre plusieurs choses. Le procès de Nuremberg commença six mois après la fin de la guerre (et donc aussi après la capture des accusés) et dura quatre ans en tout. Qui peut vraiment croire que Saddam Hussein ne sera pas bien habillé et rasé lorsqu'il sera au banc des accusés (de juin 2004 à 2008, si on utilise une période de temps similaire à celle du procès des Nazis)? D'une plus grande importance, qu'est-ce qui nous garantit que Göring, Ribbentrop, Keitel, Schirach, et leurs sbires n'ont pas dû souffrer quelques "humiliations" lors de leur capture? Personnellement, si je devais apprendre que cela avait été le cas, je suis forcé d'avouer que je ne perdrais pas beaucoup d'heures de sommeil, surtout s'il s'avèrait que "les humiliations" en question se bornent à une "visite médicale" (même filmée) par un médecin militaire allié.
Cette discussion me rappelle les nombreuses fois où des Français m'ont dit, laconiquement, "C'est vrai que c'est bien que Saddam ne soit plus au pouvoir, mais je ne suis pas sûr que la guerre était la bonne solution" pour ajouter, dans la foulée, mais d'une voix soudainement remplie d'une émotivité violente, "(de toutes façons) Bush, c'est un malade [ou] un abruti!"
Ainsi, on commence par un appel à une vision qui se veut spirituelle du monde — que les hommes ne sont pas Dieu, qu'ils n'ont pas la reponse a tout, qu'il faut élargir ses horizons, qu'il faut rester humble, se poser des questions, et ne pas se fier à ses premières émotions, etc… Étrangement, cet appel à la spiritualité de l'Homme disparait aussitöt que… l'on parle des Américains et des capitalistes ! En résumé, comme je l'ai écrit ailleurs, les conversations et les arguments ne servent pas à grand chose. Ce qui importe ici, c'est que la réaction négative, d'incompréhension, de révolte, etc, est toujours vis-à-vis des Américains, de Washington, et/ou des capitalistes (ceux auxquels on ne s'identifie pas). C'est une atmosphère qui prévaut en France (entre autres), et les conversations et les arguments n'y changeront jamais rien, puisqu'elle a l'avantage (si tel est le bon mot) d'être (ô combien) auto-congratulatoire.
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